Happy Face: quand nos préjugés nous reviennent en pleine face
Qu’on le veuille ou non, on est tous superficiels à différents degrés. Le cinéaste Alexandre Franchi interroge notre rapport à la beauté en nous renvoyant nos préjugés en pleine face dans Happy Face, film qui relate la quête de dignité de personnes ayant des malformations faciales.
Le deuxième long métrage d’Alexandre Franchi a reçu un accueil très chaleureux au Festival du cinéma international d’Abitibi-Témiscamingue (FCIAT), à Rouyn-Noranda, où il a été présenté cette semaine.
Happy Face relate l’histoire de Stan (attachant Robin L’Houmeau), un jeune homme de 19 ans qui voit l’état de sa mère atteinte d’un cancer s’aggraver. Lorsqu’il apprend qu’elle devra subir une chirurgie faciale, il se déforme le visage à l’aide de bandages afin d’assister à un groupe d’entraide pour personnes défigurées.
Rapidement (et littéralement), il se fait démasquer par Vanessa, l’animatrice du groupe (puissante Debbie Lynch-White), qui souffre elle aussi du jugement des autres en raison de son surplus de poids.
Happy Face est d’abord un film sur l’acceptation de la différence. «Ça part de mon histoire personnelle, cathartique, narcissique, avec ma mère, mais après, ça vient de mon côté superficiel qui n’ose pas trop aller vers l’autre et qui a peur de la différence. C’est ma propre manière de dire: fuck it», explique le volubile cinéaste, d’une sincérité désarmante.
Ainsi, il y a beaucoup d’Alexandre Franchi dans le personnage de Stan. Tout comme lui, il a éprouvé beaucoup de difficulté à voir l’état de santé de sa mère se détériorer. Le réalisateur montréalais d’origine française avait à peine cinq ans lorsque celle-ci a reçu son diagnostic de cancer du sein. Elle en est décédée près de 20 ans plus tard.
«J’ai grandi avec une mère qui travaillait dans l’industrie des cosmétiques et qui se définissait par sa beauté; elle était très belle. Au fil des ans, je l’ai vue dépérir, perdre ses cheveux, son sein… Elle ne pouvait plus séduire les hommes, elle perdait sa féminité… Comme j’étais l’homme de la maison, j’avais “ça” dans la face tout le temps», confie-t-il.
Comme Stan, il se sentait tiraillé entre sa volonté de s’occuper d’elle, de l’aider, et son envie de fuir. «Ma culpabilité est à la base de ce film.»
Parallèlement à ce volet autobiographique, Alexandre Franchi, qui a trouvé refuge dans le cinéma pendant la maladie de sa mère, voulait faire un film aux accents «violents, bizarre ou gore». Le tout a culminé en Happy Face, premier volet d’une trilogie sur le cancer.
«Au départ, je m’imaginais des gens horribles à voir, juste pour dire “fuck you” au public, parce qu’on se choque et qu’on n’ose pas regarder. C’était puéril et adolescent, mais ça m’a amené à approcher des gens défigurés pour tenir des rôles.»
Ces personnes ne sont pas des acteurs professionnels. Néanmoins, ils crèvent l’écran par leur présence bouleversante d’authenticité. Alexandre Franchi les a recrutées en assistant à des groupes de soutien comme celui qu’il a mis en scène pour son film. «Ils font des activités pour sortir de leur coquille et aller en public; le jeu, c’est la meilleure chose pour ça», dit-il.
La plupart jouent leur propre rôle. «J’ai réécrit le script pour m’adapter à eux, explique-t-il. Leur histoire était mieux que n’importe quoi que j’aurais pu écrire.»
Une des forces du film est le regard sans complaisance que pose le réalisateur sur eux. «On a tendance à penser que les gens défigurés, les personnes handicapées ou les pauvres ont quelque chose de bon, de noble. Mais non, ils sont aussi cons que nous. Ils peuvent être cool, mais ils peuvent être chiants aussi! (Rires) En faisant ce film, je ne voulais pas les rendre angéliques.»
La tyrannie de la beauté
Happy Face se déroule dans le Montréal des années 1990, avant les réseaux sociaux et la prolifération des selfies. On ne se rend pas compte de cet écart temporel jusqu’à la scène finale, dans laquelle on voit Vanessa découvrir l’internet. Dissimulée derrière l’écran, elle peut se décrire comme bon lui semble: mince, belle, princesse. «Tu vas voir, l’internet va tout changer», lui dit-on.
«C’est une grosse fin ironique, déclare en riant Alexandre Franchi. C’est ce qu’on a pensé à l’époque, l’internet devait tout démocratiser. Alors qu’on voit bien aujourd’hui que ça contribue à la tyrannie de la beauté. C’est mon clin d’œil à un monde auquel je suis moi-même accro.»