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Qui a peur de la poésie?

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Photo: Métro

«Beaucoup de gens ont peur de la poésie. De quoi ont-ils peur? Ils ont peur de rencontrer des émotions. Parce que la poésie est un langage du cœur», observe la poète Louise Dupré.

Alors qu’on souligne aujourd’hui même les 50 ans de la mythique Nuit de la poésie de 1970, regard sur le renouveau que connaît ce genre littéraire, malgré les préjugés tenaces qui lui collent à la peau.

Depuis une dizaine d’années, un vent de fraîcheur souffle sur la poésie québécoise. De jeunes auteurs émergent, propulsés par différentes maisons d’édition. On pense à Maude Veilleux, David Goudreault, Marie Darsigny ou encore Jean-Christophe Réhel, pour ne nommer qu’eux.

«Le milieu de la poésie en 2020 est super vivant, super excitant. Plein de voix différentes parlent au monde et remuent beaucoup», s’enthousiasme Carl Bessette, poète-interprète et cofondateur des éditions de l’Écrou.

Justement, cette maison d’édition qu’il a lancée avec Jean-Sébastien Larouche en 2009, a contribué à ce qu’il appelle l’«énorme boom» de la poésie. Son mandat? Publier des livres qui suscitent de l’émotion.

«Des livres qui parlent juste à la tête, il y en a amplement, précise-t-il. Nous, on veut des livres qui parlent aux organes vitaux.»

Louise Dupré est une figure incontournable de la poésie au Québec. Elle a publié une dizaine de recueils depuis 40 ans, dont Plus haut que les flammes, prix du Gouverneur général en 2011, dont l’adaptation cinématographique est présentement diffusée en ligne dans le cadre du Festival International du Film sur l’Art. Elle a également travaillé pour quelques éditeurs et enseigné à l’UQAM.

Selon elle, «la poésie est plus vivante que jamais», ce qu’elle trouve «magnifique».

«La poésie devient de plus en plus inclusive, de plus en plus variée, de plus en plus riche», constate-t-elle.

Même son de cloche du côté de Paul Bélanger, poète et directeur littéraire des éditions du Noroît, qui publient de la poésie depuis bientôt 50 ans. L’éditeur remarque lui aussi une sorte de renouveau.

«Je ne sais pas si on peut appeler ça une explosion… Mais une autre génération – je pense à des maisons d’édition comme Quartanier, Alto, Mémoire d’encrier, Poètes de brousse ou l’Écrou – a participé à un renouveau des lieux littéraires. D’après moi, c’est très sain.»

Pour étayer son propos, celui qui est aussi chargé de cours à l’Université de Montréal y va d’un exemple bien personnel, observé dans sa classe lors de la dernière session d’automne: «C’était la première fois que tous mes étudiants étaient déjà des lecteurs de poésie.»

«La puissance de la poésie est qu’elle veut toujours dire plus que ce qu’elle dit. C’est pour ça que la poésie est une valeur refuge du langage.» -Carl Bessette, cofondateur des éditions de l’Écrou

«Du gros rap»

Malgré une augmentation des ventes en librairie et une grande diversité de voix, la poésie fait encore face à des idées préconçues. Bon nombre de gens pensent qu’il s’agit d’un genre inaccessible et élitiste, ou encore naïf, qui ne mise que sur les rimes.

«Plusieurs croient que la poésie, c’est lourd, que c’est plein d’enflure verbale. Mais non! Les poètes comme Rimbaud, Baudelaire ou Hugo, ils parlaient au monde!» assure Carl Bessette.

De mémoire, il cite quelques vers de Victor Hugo: «Ton rire sur mon nom gaiement vient écumer/Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.»

«C’est du gros rap! poursuit-il en riant. Et le rap, ça parle au monde.»

Pourtant, dans les soirées de poésie, il entend encore souvent des gens dire: «Moi, j’haïs la poésie, je suis juste ici parce que ma blonde voulait que je vienne; mais toi là, j’ai capoté!»

Ce à quoi il répond immanquablement: «Ce n’est pas vrai que tu n’aimes pas la poésie. C’est juste que tu ne sais pas que tu aimes ça! Tu n’as juste pas été en contact avec une poésie qui te parlait.»

Dire qu’on n’aime pas la poésie, c’est comme dire qu’on n’aime pas la musique, ajoute-t-il. «Tu n’as juste pas trouvé le genre de musique qui te plaît.»

Alors, comment changer cette perception? Selon Louise Dupré, la réponse passe par une multitude d’avenues, dont la diffusion et l’éducation, et ce, dès l’école primaire.

Une opinion partagée par Paul Bélanger, qui estime que la transmission de la poésie se fait tardivement et, malheureusement, souvent sans grande passion. «On ne peut pas transmettre quelque chose qu’on n’aime pas», dit-il.

Résultat: cette forme littéraire est moins valorisée parmi les arts qu’à l’époque de la Nuit de la poésie, en 1970. Près de 5000 personnes avaient assisté à l’événement.

Carl Bessette illustre l’engouement d’alors pour la poésie en utilisant une image éclairante. «Des poètes de cette gang auraient été invités à des émissions comme Salut, Bonjour! ou à Deux filles le matin aujourd’hui. C’était populaire à l’époque.»

Il faut dire que le contexte socio-politique de ces années-là était marqué par la montée de la fierté identitaire.

«Ça correspondait à l’émergence de la prise de parole de tout un peuple. On sortait d’une époque de colonisation, et toute une génération éduquée sortait de l’université», souligne Paul Bélanger.

Difficile d’imaginer aujourd’hui – oublions un moment les mesures de confinement – autant de gens rassemblés dans une même salle pour écouter de la poésie.

Cela dit, les soirées et les événements consacrés à la poésie se sont multipliés un peu partout au Québec au cours des dernières années.

«Si on additionnait tous les gens qui assistent à des lectures de poésie, qui en font, qui en lisent, qui en écrivent et qui s’y intéressent, je pense qu’on arriverait à un bon nombre», estime Mme Dupré.

Comme bien des pratiques artistiques, la poésie s’est diversifiée au fil des ans. Ces dernières années, plusieurs tendances sont apparues. Par exemple, la poésie orale, ancrée dans le langage populaire, ou encore la poésie narrative, comme celle de Carolanne Foucher, qui publiait la semaine dernière le recueil Deux et demie aux éditions de Ta mère.

Les voix des poètes autochtones se sont également levées, notamment celles de Joséphine Bacon, de Natasha Kanapé Fontaine et de Marie-Andrée Gill.

«En vous parlant, je me rends compte que l’évolution est dans la diversification, avance la poète et romancière Louise Dupré. Il y a une multiplicité des voix et des tendances poétiques qui est très belle.»

En deux mots, elle qualifie la poésie contemporaine de «diversifiée et riche».

«C’est une poésie en recherche constante. C’est une poésie qui essaie d’aller vers l’autre. Elle est rassembleuse. Ce que je trouve beau, c’est qu’il y a moins d’esprit de chapelle que dans les années 1970.»

C’est-à-dire? «On dirait que les différents courants de poésie ont du plaisir à s’entendre les uns les autres, à se lire les uns les autres.»

Cela pourrait expliquer le succès grandissant de ce genre littéraire. «Peut-être que la poésie s’est rapprochée du public par ses contenus et par ses esthétiques, qui sont plus transparentes», avance Paul Bélanger.

Selon l’éditeur, cette poésie va «dans toutes les directions» et est davantage «incarnée».

«Il y a peut-être moins d’expérimentation formelle, et davantage une volonté de créer un sens. Il y a aussi une diversité marquée par des individualités plus affirmées, plus assumées, engagées dans un travail sur le langage.»

La poésie en temps de crise

En cette période d’angoisse et d’incertitude à cause du virus en «c», la poésie est plus importante que jamais, car elle permet de dégager du sens là où il ne semble plus y en avoir.

«La poésie est une fondation dans une culture, dans l’être, et dans ce rapport qu’elle établit avec le monde, estime M. Bélanger. Elle assure une expérience intérieure.»

Selon Louise Dupré, la poésie est «essentielle» actuellement, car «elle permet une respiration».

«Il ne faut pas que la population pense uniquement au coronavirus et à tout ce qui peut s’en suivre. Dans ce sens, la poésie, la littérature et l’art en général sont très, très, très importants.»

Aux éditions de l’Écrou, il se vend «beaucoup de poésie» actuellement, selon Carl Bessette. «Quand les gens ne savent pas vers quoi se tourner, ils se tournent vers la poésie. C’est le cœur.»

Car la poésie est universelle et intemporelle. «La poésie, c’est l’art du langage. Et le langage, c’est ce qui nous rend humains. La poésie est donc l’art de ce qui nous rend humains, conclut-il. La poésie a depuis toujours été porteuse du langage commun de l’humanité, ça va continuer ainsi.»

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