Deux essais pour raviver la flamme envers les médias
Entre l’interminable crise financière qui fait fondre leurs revenus à vue d’œil et la perte de confiance grandissante du public à leur égard, les médias manquent cruellement d’amour. Les auteurs Marie-France Bazzo et Mickaël Bergeron leur en insufflent une grande dose dans leurs essais respectifs Nous méritons mieux et Tombée médiatique.
«Voici un livre qui n’enrichira pas ma banque d’amis dans le “milieu”», écrit d’emblée l’animatrice, productrice et sociologue de formation qui livre dans son ouvrage un vibrant plaidoyer pour élever le niveau des contenus, principalement en radio et en télé.
Son collègue journaliste s’intéresse davantage aux médias écrits en analysant le comment du pourquoi de la «chute libre» des médias traditionnels – le terme «crise» est un euphémisme, dit-il. Il explore plusieurs pistes de solutions pour que l’intérêt public, et non la rentabilité, redevienne le moteur des salles de nouvelles.
Leurs approches sont différentes, mais un grand point commun transpire dans leurs ouvrages : Marie-France Bazzo et Mickaël Bergeron sont passionnés des médias. Métro les a réunis pour discuter à ce sujet.
Vous avancez tous les deux qu’au-delà de la crise financière, les médias sont en partie responsables de la perte de confiance du public à leur égard. Trouvez-vous qu’ils manquent d’autocritique?
Marie-France Bazzo (M.-F.B.) : Je ne pense pas qu’on manque d’autocritique. Tout ce que je dis, je l’ai entendu derrière des portes closes. Mais c’est un milieu tellement interrelié – les chroniqueurs et les animateurs se promènent d’un média à l’autre, tout le monde est toujours redevable envers quelqu’un – qu’il s’y pratique plutôt une forme d’autocensure. L’autocritique ne franchit pas la porte des bureaux ou des 5 à 7. Pourtant, on a tous cette volonté de rendre les choses meilleures. Les journalistes, les chroniqueurs, les recherchistes, les animateurs, les réalisateurs et les producteurs le font en proposant des sujets variés et des angles différents. Et arrive un moment donné le haut de la pyramide, où ça ne veut pas bouger. Appelons ça du manque d’audace, de la paresse, de la peur, celle de perdre des parts de marché, des ventes…
«Non seulement je les aime [les médias] malgré tous leurs défauts, mais je suis sûre qu’il y a moyen de les réparer. Mon livre est un plaidoyer pour ça, au fond.» -Marie-France Bazzo
Mickaël Bergeron (M.B.) : Peu de gens sont de mauvaise foi, mais il y a toujours un sentiment d’urgence dans les médias : urgence de produire, d’être présent sur Internet, d’alimenter les chaînes en continu… Et il y a le sentiment d’urgence de survivre! Si ça bloque dans les hautes directions, c’est parce qu’eux, leur travail, c’est que leur média ne ferme pas dans la prochaine année. Je peux comprendre que certains enjeux de fond ne soient pas leur priorité.
M.-F.B. : C’est un serpent qui se mord la queue. Il y a cette crise structurelle, mais en même temps, il y a aussi des gens qui se désabonnent, qui n’écoutent plus la radio ou la télévision parce qu’ils se font proposer des choses plus intéressantes ailleurs, parce qu’ils ne se sentent pas représentés, parce qu’ils considèrent les médias comme une élite. Et c’est vrai que c’est ça! Tout le monde vit dans le même 8 km2, entre le Plateau et Rosemont, avec une petite annexe à Saint-Lambert. Cela exclut beaucoup de lecteurs, d’auditeurs et de téléspectateurs. Après, on s’étonne de perdre du public.
Marie-France, vous écrivez d’ailleurs qu’il faut arrêter de sous-estimer et de mépriser le public, notamment avec le mot-clic #lesgens. Mickaël, vous déplorez que les journalistes ne s’adressent qu’à la classe moyenne aisée. Est-ce que les médias sont déconnectés du vrai monde?
M.-F.B. : Tout à fait! Il faut entendre ces gens, qui sont le public, qui sont des citoyens, qui sont des électeurs, et autrement que dans des vox pop. Pendant la crise des Gilets jaunes en France, certains d’entre eux ont participé à des émissions, après avoir protesté contre le fait que des journalistes bienpensants parlent en leur nom. Tout d’un coup, on a vu en ondes des gens qui ne ressemblaient pas au monde formaté de la télévision. Il faut provoquer des rencontres comme ça régulièrement. Autre exemple, pendant le confinement du printemps, Radio-Canada a diffusé plusieurs topos à l’échelle nationale en parlant aux commis de l’Intermarché Boyer de la rue Mont-Royal. Ça me dérange.
M.B. : J’ai travaillé six ans sur la Côte-Nord, on trouvait en effet l’info très montréalaise. [NDLR : Mickaël écrit dans son essai : «Les gens de Sept-Îles ou de Rouyn-Noranda sont parfois plus renseignés sur le trafic de l’autoroute Décarie à Montréal que sur l’actualité de leur région»]. Et effectivement, il y a un problème de déconnexion du public. Je viens d’une famille qui n’est pas éduquée. J’ai souvent des reality check quand je la visite. Des fois, j’essaie de rappeler à des collègues journalistes que leur entourage n’est pas le même que celui de tout le monde. Presque un million de personnes vivent dans la pauvreté au Québec. On ne parle pas d’eux.
M.-F.B. : Pourtant, il y a 47 % d’analphabètes fonctionnels…
M.B. : Voilà! Il y a un problème de diversité de classe sociale et économique, mais aussi de diversité culturelle et corporelle.
«Je pense qu’on peut faire mieux et je sais qu’on peut faire mieux. Mon livre, je le vois comme 240 pages d’amour envers le milieu de l’information.» -Mickaël Bergeron
Comment s’assurer que les médias soient plus représentatifs de la population? Faut-il des quotas dans les salles de presse ou dans les écoles de journalisme?
M.-F.B. : Si on représentait toutes les diversités, on aurait du fun à entendre toutes sortes d’opinions, à voir tous ces gens se côtoyer. Si j’étais directrice de programmation, j’aurais du plaisir à composer ça! Il faut monter le niveau, et je ne parle pas de faire des émissions sur la philosophie tout de suite après District 31. Plus on va voir de diversité, plus on va s’y faire, plus ce sera riche. Est-ce que ça prend des quotas? Je ne suis pas contre, mais il y en aurait tellement à imposer – opinion, âge, etc. –, un moment donné on n’en sort pas. Je pense qu’on est rendu à une prise de conscience globale. Je sens que ça commence à percoler, que dans cinq ans on va se reparler et que le paysage aura probablement changé.
M.B. : En effet, ça prend une prise de conscience beaucoup plus profonde et généralisée. Le public est plus ouvert qu’on le pense. On le voit quand de nouvelles vedettes sortent de nulle part parce que quelqu’un a osé leur donner une chance; on les adopte super rapidement! Il faut enlever cette peur de déplaire. C’est un devoir que les médias soient représentatifs de leur population. On est quand même là dans un intérêt public.
Ce qui m’amène à la notion de privilège des personnalités médiatiques (journalistes, chroniqueurs, animateurs) que vous abordez tous deux dans des passages forts intéressants de vos livres. Avec une tribune vient une responsabilité. Est-ce qu’on a tendance à l’oublier?
M.-F.B. : Le test de réalité qu’on vit en ce moment, où beaucoup de groupes se méfient et même défient les médias en disant «fake news», ce n’est pas infondé. Le discours anti-média va au-delà du refus du port du masque et de la crainte de la 5G, il y a des gens qui sont juste déçus par rapport au contenu, qui sentent qu’on ne s’adresse pas à leur intelligence.
M.B. : Ça revient à la question de base de mon livre : à qui appartient l’information? Pour moi, c’est un bien public, donc elle appartient à la communauté, aux populations, à tout le monde. Pour être un bon journaliste ou animateur, ça prend de l’humilité. Dans un milieu qui pousse vers l’opinion et l’infospectacle, où les chroniqueurs sont des vedettes et parfois même les journalistes, on ne tend pas vers l’humilité, et je trouve ça dommage. Aussi, il y a un biais dans le modèle d’affaires. À partir du moment où on s’intéresse plus à la rentabilité qu’à l’information, c’est un terrain glissant. On s’éloigne alors de la notion de bien public.
D’où le besoin de revoir le modèle d’affaire des médias. Mickaël, vous consacrez un segment de votre ouvrage aux solutions qui pourraient assurer leur indépendance financière. Qu’est-ce qui vous semble le plus prometteur?
M.B. : Je crois en un financement public accru. Il faut se retirer de l’influence des milliardaires et de la dépendance aux annonceurs, et je ne vois pas comment faire autrement que de transformer les entreprises d’informations privées en entreprises publiques. Je pense que c’est la voie d’avenir pour l’information. On le voit avec les anciens journaux de Capitales Média qui ont choisi le modèle coopératif, c’est une façon de s’ancrer dans leur communauté. Une partie de la réponse est là.
Tombée médiatique – Se réapproprier l’information
Par Mickaël Bergeron
Aux éditions Somme toute
Nous méritons mieux – Repenser les médias au Québec
Par Marie-France Bazzo
Aux éditions du Boréal