Top 10 des livres québécois de 2022
Par leur plume soignée, les auteur.ice.s d’ici savent nous bercer avec leur prose, nous saisir au ventre grâce aux tensions et suspenses, nous faire verser une larme en identifiant un mal qui nous est familier, nous choquer en nous exposant à l’inconnu ou nous calmer en nous rappelant ce qui compte vraiment à nos yeux. Romans, essais, recueils de poésie ou littérature jeunesse: parce que ces livres nous ont fait vibrer, les journalistes de Métro considèrent qu’ils sont les meilleurs de l’année.
Une femme extraordinaire de Catherine Ethier (Stanké)
On connaissait la chroniqueuse à la verve flamboyante et inimitable. Cette année, nous avons découvert la romancière, tout aussi colorée, avec Une femme extraordinaire. Les admirateur.trice.s de Catherine Ethier y retrouvent – et y savourent – son caractéristique sens affûté de la formule. La femme du titre, c’est la chroniqueuse culturelle semi-connue Corinne Gazaille. Par l’entremise de cet alter ego, l’autrice porte un regard incisif sur la glamourisation des personnalités publiques et la vénération dont elles font l’objet.
Si l’humour est une composante intrinsèque de sa plume, Catherine Ethier aborde dans son livre, sans s’enfarger dans les fleurs de la moquette (pour emprunter une expression qu’elle pourrait employer), des sujets fort sombres – idées suicidaires, dépression, problèmes financiers – tout en égratignant le star-système. Or, la plume truculente de Catherine Ethier fait d’Une femme extraordinaire une lecture résolument jubilatoire, durant laquelle on ne peut s’empêcher de l’entendre narrer avec éloquence les vicissitudes de Corinne.
— Caroline Bertrand
Marche à voix basse de Nelly Desmarais (Le Quartanier)
Premier recueil de poésie de Nelly Desmarais, Marche à voix basse raconte Hochelaga sous toutes ses formes. L’autrice y transpose la souffrance qu’elle ressentait à l’époque de son déménagement dans le quartier et qui semblait résonner avec celle que vivaient ses voisin.e.s.
Évoquant la mémoire des lieux, Nelly Desmarais plonge avec ses poèmes dans sa propre histoire, mais également dans celle du quartier, dont l’incendie tragique du cinéma Laurier Palace, en janvier 1927, qui a coûté la vie à 77 enfants.
Dans les poèmes Portrait-robot et Déposition, elle aborde une tentative de viol qu’elle a subie il y a quelques années ainsi que les procédures à travers lesquelles elle a dû passer par la suite.
Malgré ces sujets sombres, la beauté est tout de même au rendez-vous, la plume de Nelly Desmarais étant habile et limpide. Une poète à découvrir, donc. On a d’ailleurs bien hâte qu’elle récidive!
— Jason Paré
Les pénitences d’Alex Viens (Cheval d’août)
Les pénitences, premier livre d’Alex Viens, nous plonge dans une relation père-fille où les deuxièmes chances sont épuisées et où les traumatismes familiaux font partie de l’ADN. Le roman raconte l’histoire de Jules, 24 ans, qui rend visite à son père, Denis, qu’elle n’a pas vu depuis une dizaine d’années.
Le but? Lui remettre une petite boîte dont on ne connaît pas le contenu, puis partir. Mais Denis est content de revoir sa fille. Et Denis réussira à la convaincre de rester passer la soirée. Malgré un souper spagat et quelques bières qui laissent croire à un potentiel de relation, la vraie nature de Denis, vieux tyran imprévisible, reviendra au galop, comme il a toujours su le faire.
Alex Viens, avec son écriture crue, ses images fortes et son ton familier, nous immerge dans un quasi-huis clos où la rage, la rage, c’est peut-être une raison pour se faire mal.
— Arianne Lebreux-Ebacher
Submersible de Carolanne Foucher (Éditions de Ta Mère)
Submersible, le dernier recueil de poésie narrative de Carolanne Foucher, s’amorce tragiquement avec le suicide d’un amoureux. À partir de là, l’autrice raconte une émouvante histoire de deuil et de reconstruction marquée par des visites chez la psy, une nouvelle tentative d’amour et la relecture de notes dans le cellulaire.
Malgré la dureté du propos, on ne peut s’empêcher de dévorer chaque page, de savourer chaque mot. La plume simple, sincère et sensible de l’autrice, qui se permet romantisme et humour, écorche et réconforte tour à tour, parfois en même temps.
Belle et bouleversante, elle arrive à faire percevoir un peu de lumière dans la noirceur, à donner le sentiment que l’on peut se sortir la tête de l’eau même lorsqu’on se sent complètement submergé.
— Jules Couturier
La mécanique des désirs de Mélodie Nelson (Château d’encre)
Mélodie Nelson signe un troisième livre qui porte sur toutes ces rencontres qui ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui. Bien qu’elle soit diplômée en études littéraires et qu’elle mène depuis une douzaine d’années une carrière d’autrice à la plume accomplie, c’est rarement comme écrivaine qu’elle est d’abord présentée.
C’est qu’elle a travaillé comme escorte dans sa vingtaine, métier qui a d’ailleurs donné son titre à son premier livre et qui ponctue son nouveau roman à saveur autobiographique.
À travers les pages de La mécanique des désirs, l’amour des mots qu’entretient Mélodie Nelson se ressent presque autant que son besoin d’être sexuellement comblée. Faisant régulièrement référence à la littérature – de Marguerite Duras à un essai sur la pornographie –, mais aussi à ses cahiers de notes, sa passion transperce les pages comme l’odeur chlorée de sa poubelle à condoms.
— Constance Cazzaniga
Au pays du désespoir tranquille de Marie-Pierre Duval (Stanké)
Marie est une recherchiste devenue productrice télé de grands plateaux. D’abord inarrêtable, elle se sait sur le bord du précipice et s’affaisse, à 41 ans, exténuée par ses responsabilités, étouffant sous le poids des attentes, de la méritocratie et de l’efficacité.
Marie-Pierre Duval raconte dans un flot romanesque son changement de vie majeur par l’entremise d’une plume inspirée, fine, intelligente, conjuguant humour et sensibilité. Lucide, l’autrice porte un regard incisif sur la société de performance qui l’a engloutie, et qui régente même ses amitiés.
Après sa chute, elle apprend à retrouver la femme qu’elle était avant de devenir une productrice accomplie et une mère carburant aux listes de tâches à terminer, à goûter de nouveau à ce qu’elle appelle «le Délicieux» de la vie.
— Caroline Bertrand
Poids lourd de Daniel Bélanger (Les Herbes rouges)
Vous connaissiez Daniel Bélanger comme musicien qui berce avec ses mélodies. Dans Poids lourd, vous retrouvez celui qui berce avec ses mots.
L’artiste, qui a sorti son 11e opus cette année, a dévoilé son premier recueil de poésie à la fin de l’été. Recueil inspiré par les cochons en route vers l’abattoir, Poids lourd est une lecture légère et lourde de sens à la fois, parfaite en buvant un café, plaisir simple du quotidien souligné dans le recueil.
Poids lourd, ce sont 95 pages de mots qui témoignent de l’existence, du sens ou non-sens de la vie, des paradoxes et des petits bonheurs. Un roadtrip dans la pensée de ce poète qui a l’effet du vent frais d’une fenêtre ouverte sur l’autoroute.
«Écrire pour me sentir en vie. Dès lors, appréhender ma propre absence et aussitôt cesser d’écrire.»
— Arianne Lebreux-Ebacher
Le garçon aux pieds à l’envers de François Blais (Fides)
Dernier livre du regretté François Blais — qui en a terminé l’écriture quelques semaines avant sa mort, au printemps dernier —, Le garçon aux pieds à l’envers est un de ces romans jeunesse qu’on dévore même adulte en se disant combien on aurait aimé l’avoir entre les mains du temps de l’adolescence. Jamais infantilisant, l’auteur use d’un vocabulaire riche et n’hésite pas à inclure des références plus matures, comme au tueur en série belge Marc Dutroux, sans qu’elles soient pour autant trop poussées ou indéchiffrables.
Mêlant habilement enquête et phénomènes paranormaux, l’histoire en est d’abord une d’amitié. Adrienne, le personnage principal, navigue entre cette attraction fusionnelle qu’on ressent quand naissent des liens et ce rejet total de l’autre qu’on peut développer quand une nouvelle amitié prend le dessus. Elle devra agir vite, parce que le temps est peut-être compté pour sa jeune voisine, disparue alors qu’Adrienne lui préférait sa nouvelle copine.
— Constance Cazzaniga
Histoires analogues de Michel-Olivier Gasse (Station T)
L’auteur et musicien Michel-Olivier Gasse, moitié du groupe Saratoga, offre un savoureux livre à lire et relire pour les passionné.e.s de musique. Sous forme de courtes tranches de vie, le mélomane relate son attachement à certains albums intimement liés à des moments marquants. Sans jamais pontifier sur les artistes peuplant ses souvenirs, il transmet son amour de la musique avec complicité et une désinvolture teintée d’humour et de tendresse.
Lorsque, comme lui, on voit en la musique une compagne indéfectible autour de laquelle se bâtissent nos souvenirs, ses mots nous émeuvent et résonnent au plus profond de notre être. Lorsqu’on a de surcroît un faible pour la table tournante, comme lui, on ne vibre que davantage. «Je suis en paix avec mes cinq pieds trois, mon bide de saison et les cheveux qui me restent, tant que j’ai une platine, un jardin, quelques bières et des yeux bleus où me perdre», écrit-il.
— Caroline Bertrand
Jean Leloup: des grands instants de lucidité d’Olivier Boisvert-Magnen (Les Malins)
Dans ce livre de plus de 300 pages regorgeant de photos, de témoignages et d’anecdotes savoureuses, l’auteur revient sur l’ensemble de la carrière de Jean Leloup, cette mythique figure de la musique québécoise.
Le travail journalistique nécessaire pour plonger en profondeur dans plus de 30 ans de carrière est admirable, surtout quand celle-ci est aussi rocambolesque. Les geeks de musique, dont Olivier Boisvert-Magnen fait visiblement partie, se réjouiront de connaître des détails très techniques relatifs à la création de plusieurs morceaux légendaires du musicien. Le lectorat davantage intéressé par la dimension humaine du personnage découvrira un artiste à la fois inspirant et frustrant.
En replongeant dans cet univers, on comprend à quel point il était important qu’un livre entier soit consacré au phénomène, un livre à la présentation éclatée, plein de couleurs et de motifs, à l’image de celui qui l’a inspiré.
— Jules Couturier