Avec Cœur
C’est à un spectacle de trois heures et demie que nous conviait cette fois-ci Robert Lepage à la TOHU, où la première de Cœur avait lieu jeudi soir. Une pièce qui fait partie de la même tétralogie que Pique (Jeux de cartes), mais qui n’a que très peu en commun avec cette dernière pièce, si ce n’est la scène circulaire de la TOHU.
Pique se situait principalement à Las Vegas; Cœur nous transporte en France, en Algérie et à Québec à diverses époques différentes. Mais malgré tout, dès la première partie du spectacle, on sentait que le metteur en scène allait nous permettre de nous attacher plus en profondeur à ses personnages, particulièrement à ceux de Chafik, jeune chauffeur de taxi québécois d’origine marocaine, et de Judith, chargée de cours en cinéma qu’il rencontre dans sa voiture et avec qui une histoire d’amour se développe. Chafik est un peu le point central des histoires, mais on ne vous en dira pas trop à ce sujet. On peut dire par contre que Lepage intègre aussi à son récit des personnages réels comme Georges Méliès, le magicien Robert-Houdin ou le photographe Félix Nadar.
D’emblée, on constate que Cœur est moins bien rodée que Pique (en tournée depuis un moment déjà), et les comédiens s’enfargent souvent dans leurs répliques; un problème qui devrait se régler au fil des représentations. Après avoir été époustouflé par la scénographie et la mise en scène réglée au quart de tour de Pique, le public trouvera peut-être celle de Cœur moins grandiose, même si elle représente certainement autant de travail. On a l’impression que Lepage a choisi de mettre davantage l’accent sur le développement des personnages que sur les effets visuels – on se sent davantage dans le théâtre à proprement parler, où l’on peut voir une main s’emparer d’un élément de décor, un acteur s’éclipser de scène derrière un rideau… Comme il est beaucoup question de cinéma, cependant, ce rideau translucide qui entoure à plusieurs moments la scène pour y recevoir des projections était une innovation particulièrement ingénieuse.
Si la pièce n’est pas exempte de longueurs et de trames narratives qui captent moins l’intérêt que les autres et à travers lesquels on se perd parfois, Cœur comprend de nombreux personnages forts campés par des acteurs qui le sont tout autant – et qui, une fois de plus, prêtent leurs traits à plus d’un personnage. On se souviendra longtemps de Kathryn Hunter, qui interprète avec le même aplomb, la même crédibilité et le même humour subtil la grand-mère algérienne, la femme de Robert-Houdin ou le petit garçon arabe. En ces temps de débats sur la Charte, on salue aussi les répliques savoureuses (et l’interprétation sans faille) de la mère de Judith, Québécoise xénophobe, jouée par Louis Fortier.
Des longueurs, donc, mais aussi beaucoup de moments franchement drôles, certains réellement touchants, et qui visent dans le mille quant à la réflexion de Lepage sur le choc entre Orient et Occident.
Les deux derniers volets de la tétralogie, Trèfle et Carreau, seront créés dans les prochaines années.
Cœur
À la TOHU
Jusqu’au 9 février