Owen Pallett: coups de folie
Owen Pallett, violoniste virtuose et ambassadeur de l’indie-pop canadienne, canalise ses tourments intérieurs dans les pièces de In Conflict.
«Pour être complètement franc, la première fois que j’ai relu mes textes pour In Conflict, j’ai eu l’impression de découvrir les écrits d’un fou, donc j’ai décidé d’explorer de façon plus approfondie l’origine de ma folie», m’explique en toute quiétude le violoniste et multi-instrumentiste Owen Pallett, lorsque je le joins dans un hôtel de Kansas, alors qu’il s’affaire simultanément au lancement de son quatrième album, In Conflict, et à Reflektor, tournée mondiale d’envergure de ses compatriotes Arcade Fire.
Pallett, qui a récemment déménagé à Montréal sur un coup de tête parce que «l’embourgeoisement de Toronto l’attristait», revient sur la genèse d’In Conflict, une émouvante sélection de chansons de pop baroque portées par un crescendo de cordes, de synthés et de basses retentissantes. L’auteur-compositeur-interprète y livre également des textes exposant sans fard ses plus profondes angoisses.
Le principal intéressé dit avoir voulu mettre en mots les luttes intérieures avec lesquelles il doit composer, sur des pièces telles que I Am Not Afraid, où il partage ses sentiments mitigés à l’égard de la paternité («Je n’aurai jamais d’enfants; je les porterais et les mangerais, mes enfants»), ou sur The Riverbed, qui relate l’alcoolisme ayant un temps noyé ses périodes dépressives («Quand tu te réveilles pour le sixième matin d’affilée avec ton Tanqueray, tu te relèves et tu bois à nouveau»).
«Le disque a fini par aborder de front la notion de folie. C’est un terme plutôt vague; je fais référence aux états liminaires, que ce soit la dépression, les troubles bipolaires, l’homosexualité ou les troubles de genre. C’était la thématique de l’album. Tous ces comportements et états d’âme qu’on qualifie d’anormaux, de déviants.» Pallett souhaitait enrichir le discours autour de la maladie mentale, en tant que personne qui souffre de «crises d’anxiété complètement paralysantes».
Dans The Riverbed, il évoque l’idée que la dépression pourrait aussi être perçue comme une bénédiction («the gift of your depression»). «J’y crois dur comme fer, affirme Pallett. Les liens entre créativité et maladie mentale ont été prouvés scientifiquement. Si tu peux démontrer que ces états d’esprit ont leurs côtés positifs, ça te permet de rester motivé et créatif… Bref, ça change complètement le regard qu’on porte sur sa propre maladie.»
Parcours passionnant
Owen Pallett, qui a remporté le prix Polaris en 2006 pour l’album He Poos Clouds (sous le nom de Final Fantasy), a connu un début d’année foudroyant. En plus de la tournée avec Arcade Fire, il a eu une nomination aux Oscars (partagée avec Will Butler) pour la musique du film Her et a appris que Brian Eno, légende britannique de la musique ambient, lui donnerait un coup de main sur In Conflict. Récemment, il a reçu les éloges de nombreux mélomanes pour ses essais à la fois éclairés et hilarants qui décortiquent des bombes pop (pensez Katy Perry, Daft Punk et Lady Gaga) en s’appuyant sur des principes de théorie musicale, pour la publication américaine Slate. «Ces textes ont été un défi de taille, car je n’aime pas quand les journalistes de musique se lancent dans de la grande théorie ou quand les théoriciens de musique se penchent sur la pop. Je trouve ça super ennuyeux; ça n’a pas d’application pratique, à mon avis», dit-il.
Cet ambassadeur de l’indie pop canadienne a d’abord eu envie d’écrire ces textes parsemés d’ironie suite à la publication d’un éditorial du site The Daily Beast ayant rapidement enflammé la toile, qui déplorait l’appauvrissement de la critique musicale dans la presse anglo-saxonne, à une époque où personne ne veut vraiment discuter de musique, selon l’auteur. Pallett, en désaccord total avec cet argumentaire, s’est alors lancé dans un exercice des plus minutieux (et absurde!) pour démontrer, entre autres, que la répétition de quatre accords dans Get Lucky et que son «abus irrésistible» du mot «good» en font un tube d’été sans pareil. «Ce discours ne correspond aucunement à comment la majorité des auditeurs consomment et apprécient la musique. Ça donne quelque chose d’étrange et de forcé, un peu comme un spectacle de drag…»
In Conflict
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