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Drag queen, de «mère» en fille 

Les drag queens Dream et Mado Lamotte Photo: Gracieuseté/Mado

Dans le milieu de la drag, la notion de famille occupe une place importante. Certaines drag queens «adoptent» d’autres drags, très souvent plus jeunes qu’elles, qui deviennent leurs «filles». En plus de leur apprendre les rouages du métier, les «mères drag» (ou «drag mothers») apportent un soutien émotionnel à leurs protégées, leur offrant ainsi une deuxième famille.  

Quand Luc Provost crée son personnage de Mado Lamotte en juillet 1987, le concept de «drag mothers» n’existe pas encore à Montréal. «C’est arrivé un peu plus tard au Québec. Je pense qu’on m’a considéré comme la reine mère ou la grand-mère en haut de l’arbre généalogique», explique Luc Provost, alias Mado Lamotte.  

Mado, «la reine mère» 

En mai 2002, Luc Provost ouvre le cabaret Mado, un établissement situé encore aujourd’hui dans le Village, qui présente des spectacles de drag queens. Mado offre alors des premiers emplois à des artistes qu’elle prend sous son aile.  

«Je les engageais quand je les aimais bien et je me disais “elles vont faire partie de la famille Mado”, mais ce n’était pas pour être leur mère. Puis, à un moment donné, j’ai vu le phénomène qui s’amplifiait, alors j’ai demandé à l’une d’elles d’être ma fille», se rappelle Luc Provost.

Sa première fille officielle fut Dream, une drag queen interprétée par Julien Cliche, décédé cette année à l’âge de 39 ans. «J’ai coaché Dream très longtemps. Je le trouvais assez bon pour qu’il prenne ma place un jour s’il n’avait pas quitté, malheureusement, ce monde», se désole-t-il.  

En général, les drag mothers conseillent et forment leurs drag queens pour qu’elles deviennent assez hot pour animer un spectacle toutes seules et voler de leurs propres ailes. 

Mado Lamotte

Un système de mentorat 

Dès ses débuts comme drag queen, vers 2004, Marla Deer devient la fille de Nicole Lamotte, qui est le personnage sœur de Mado Lamotte.  

«À mon arrivée, je ressemblais énormément au style de Nicole, très particulière, un peu de gauche, qui n’essayait pas d’être la plus belle. Donc, quand Mado m’a vue pour la première fois, ça faisait peut-être quatre spectacles, maximum, que j’avais fait, et elle m’a dit: “Tu es tellement à l’image de Nicole, tu dois être la fille de Nicole.” De là s’est créée une vie entière», raconte Marla Deer. 

C’est aussi en raison des similarités de styles que la célèbre drag queen Rita Baga a approché ses filles, Sasha Baga et Aizysse Baga. Cette dernière se souvient encore du jour où Rita Baga lui a demandé de l’adopter.  

«J’étais totalement heureuse, lance-t-elle. Ça faisait longtemps que je la regardais en spectacle et je voulais vraiment qu’elle soit ma mentore.»  

Et qu’est-ce qu’Aizysse Baga a appris de sa mère Baga? «Rita m’a appris à être professionnelle, dit-elle en riant. À établir mes prix, à me pousser à travers des booking, à me dépasser, à essayer de nouvelles choses et de nouvelles chansons.» 

Les Bagas, on est très fières de notre famille et surtout de notre mère, qui a une carrière exceptionnelle. On la trouve très inspirante et on ne veut que suivre ses pas! 

Aizysse Baga 
En partant de la gauche: Aizysse Baga, Sasha Baga, Rita Baga, Virginie Chauvette et Eddy. (crédit: gracieuseté/Martin Poulin)

Avoir une famille de drag a aussi permis à Marla Deer d’obtenir des offres et des perspectives professionnelles très tôt dans sa carrière. «C’est comme un système interne. Ces gens-là qui font partie de ta famille vont te recommander, car ils veulent travailler avec toi. Donc, ton nom sort plus facilement de leur bouche pour des propositions», dit celle qui est à son tour devenue la mère de plusieurs drag queens et d’un drag king. 

Ce système de mentorat ne caractérise pas uniquement le monde de la drag. «Il y a quand même un phénomène similaire dans d’autres domaines artistiques», fait remarquer une autre drag montréalaise, Barbada, maman de deux drag queens.  

En effet, il n’est pas rare de voir des artistes être pris.e.s sous l’aile de producteurs, par exemple, mais «ce n’est pas toujours des gens qui sont au même niveau, poursuit-elle. C’est peut-être particulier au monde de la drag pour ça, étant donné que c’est quelque chose qu’on retrouve dans la communauté LGBTQ, où, souvent, la famille choisie est d’une grande importance.» 

Marla Deer (Crédit: Gracieuseté/Fierté Montréal)

«Une famille choisie» 

Au-delà du rôle de mentores, les mamans drag sont aussi là pour soutenir émotionnellement leurs protégées, étant donné qu’elles sont les mieux placées pour les comprendre.  

«Le fait de pouvoir se créer une famille qui nous comprend, qui comprend l’univers dans lequel on évolue et qui ne va pas nous juger, c’est vraiment, vraiment bien dans notre monde», souligne Marla Deer. 

Bien que ce soit de moins en moins fréquent au Québec, plusieurs membres de la communauté LGBTQ n’ont pas le soutien de leur famille biologique. La famille de la drag devient alors «une famille choisie», indique Aizysse Baga.  

Dans le même ordre d’idées, il est plus rare, encore aujourd’hui, pour les jeunes hommes homosexuels d’avoir une famille à eux, fait valoir Sébastien Potvin, alias Barbada.   

«Je suis enseignant dans la vie de tous les jours et j’ai des collègues qui songeaient déjà, à 25 ans, à avoir une famille, et qui, à 26 ou 27 ans, étaient enceintes. Dans le monde gay, c’est largement inconcevable d’avoir des enfants à 25 ans», énonce la drag queen.  

Barbada (crédit: Gracieuseté/Call Me Mother)

Celle-ci participe à l’émission de téléréalité Call Me Mother, un concours semblable à La Voix diffusé à OUTtv depuis l’automne. Après un processus d’audition, les trois «mothers» participantes, soit Peppermint, Crystal et Barbada, choisissent des drag queens qui feront partie de leur équipe respective. Barbada explique qu’accompagner d’autres artistes qu’elle peut considérer comme ses filles lui permet de vivre la maternité à sa façon.  

De manière générale, l’esprit d’entraide règne dans le milieu des drag queens, sans même qu’elles fassent nécessairement partie d’une même famille. «Il y a beaucoup de drag queens qui ne sont pas mes filles, mais qui viennent me voir pour avoir des conseils, et je le fais avec plaisir», mentionne Mado Lamotte.  

EN BREF: 

  1. C’est d’abord au sein de la scène ball underground new-yorkaise, un mouvement apparu dans les années 80, qu’apparaît le terme «house» pour décrire des groupes de danseurs marginalisés, issus des communautés LGBTQ, qui se réunissaient pour compétitionner entre eux.  «Le monde de la famille [dans la drag] est surtout parti de New York, parce que c’était ça, le concept: t’es un jeune gay de l’Alabama qui débarque à New York, t’es tout seul et tu as une mother qui va t’aider et qui va tout faire pour te sortir de la rue», explique Marla Deer. 
  1. Au début des années 2000, quand le cabaret Mado ouvre à Montréal, la culture drag est encore très marginale au Québec. «Je me rappelle quand Julie Snyder me présentait comme le travesti Mado. Je lui avais dit: “Non, il faut que tu dises drag queen parce que c’est un personnage et non un gars qui se déguise en fille”», souligne Luc Provost. 
  1. C’est seulement au tournant des années 2010 que l’ensemble des termes entourant l’univers de la drag se démocratise partout à travers le monde, avec la diffusion de la désormais célèbre émission RuPaul’s Drag Race, qui cumule aujourd’hui 14 saisons régulières. 

Recommandations télé pour en apprendre plus sur le sujet: 

  • Le documentaire de l’Américaine Jennie Livingston, Paris Is Burning, paru en 1991.
  • La série Pose, maintenant disponible sur Disney Channel.

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