Raconter la fuite avec «Au nord d’Albany»
Après plusieurs courts métrages remarqués, dont Marguerite qui l’a menée aux Oscars, la réalisatrice et actrice Marianne Farley sort aujourd’hui son premier long, Au nord d’Albany.
On y suit Annie (Céline Bonnier) qui fuit Montréal avec ses enfants, Sarah et Félix, en direction de la Floride. Coincée dans les Adirondacks à cause de la voiture qui tombe en panne, la famille fera la rencontre de Paul (Rick Roberts), un mécanicien qui ne s’en laisse pas imposer, et de son adolescente, qui nouera des liens avec Sarah (Zeneb Blanchet), elle-même en pleine période de crise. Pris les uns avec les autres, ils devront apprendre à s’écouter pour se comprendre.
Cette histoire est née d’une expérience similaire vécue par la réalisatrice, il y a plusieurs années. Seule avec ses deux enfants et sa voiture en panne – sans avoir les mêmes motivations de départ que le personnage d’Annie –, elle a connu un grand sentiment de vulnérabilité. C’est d’ailleurs avec son conjoint de l’époque et père de ses enfants, Claude Brie, qui était venu les chercher, que Marianne Farley a coscénarisé Au nord d’Albany.
«En partant, je me disais que ça n’avait aucun sens, il fallait qu’on écrive un film, commente la réalisatrice, rencontrée par Métro quelques jours avant la sortie en salle du long métrage. C’était hyper anxiogène d’être prise là-bas sans pouvoir me déplacer, de ne pas avoir le contrôle sur ma vie.»
De la fuite à la solitude
En se demandant ce qui mènerait une mère à partir avec ses enfants, Marianne et Claude ont eu l’idée qu’elle serait en fuite – pour des raisons qui se découvrent au long du film – histoire d’ajouter de nouvelles couches à son drame.
Il y a aussi que la fuite est un réflexe très humain, comme le souligne la réalisatrice, et qu’elle permet d’explorer un de ses sujets de prédilection: la solitude. Parce que fuir, c’est aussi se retrouver seul avec soi. Et on le voit avec les personnages d’Annie, qui, peu outillée pour prendre les meilleures décisions, élève seule ses enfants, et de Paul, qui choisit de vivre seul un drame familial qui l’a accaparé des années plus tôt.
«Avec le recul, je me rends compte que la solitude fait vraiment partie de tous mes projets», observe Marianne Farley, qui avait également réalisé le court métrage Frimas, dans lequel une femme devait vivre un avortement dans le plus grand des secrets.
Cette solitude, on peut aussi la lier aux enjeux d’incommunicabilité entre les personnages, qui ont de la difficulté à se mettre dans la peau de l’autre. Ajoutons à cela la barrière linguistique (le film, qui présente une famille québécoise aux États-Unis, est bilingue) ainsi que les différences culturelles qui complexifient davantage la communication entre chacun.
«Quand on parle de fusillade, d’armement et tout ça, on s’entend qu’on ne vit pas sur la même planète au Québec et dans certains États américains. Mais en même temps, foncièrement, on reste des êtres humains avec des vécus et des sensibilités qui se ressemblent», croit la réalisatrice.
Personnages féminins, personnages forts
Cette incommunicabilité, elle n’existe pas qu’entre les deux familles, entre le Québec et les États-Unis, entre ceux qui veulent partir et ceux qui vont rester. Elle est également entre la mère, qui prend des décisions en écoutant ses propres craintes, et sa fille, qui vit le pire de son adolescence et réalise que sa maman n’est qu’un être humain.
Elle-même mère d’ados, Marianne Farley a pu explorer sa propre maternité par le biais du personnage incarné par Céline Bonnier. «Il y a beaucoup de moi dans Annie, même si ne je n’aurais pas fait ces choix-là, admet-elle. Des fois, on prend des décisions impulsives, on est en réaction par rapport à nos enfants. C’est difficile de prendre du recul. Des fois, on se rend compte qu’on se trompe.»
Imparfaite, Annie est un personnage riche et complexe. C’est un choix conscient que de mettre en scène des personnages féminins forts dans ses films, assure la réalisatrice, qui constate qu’on est souvent coincé avec la même poignée d’archétypes, sans parler de combien les comédiennes se font effacer à partir d’un certain âge.
«Il y a un terrain très fertile, parce que tout est encore à découvrir avec les personnages féminins. Les personnages masculins ont tous été faits ou presque. Même sur le plan de la personnalité, des femmes profondes, qui ont des failles et des contradictions, il y en a encore peu. Ceci dit, il y en a de plus en plus, et c’est bien excitant en ce moment d’être cinéaste pour explorer ça, parce que tout est à inventer», conclut-elle.