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Michel Charette dans «Le bonheur»: un pétage de coche plein de préjugés?

Michel Charette dans la série Le Bonheur diffusée à TVA
Michel Charette dans la série Le Bonheur diffusée à TVA. Photo: Capture d'écran

Vous avez peut-être vu la crise que le comédien Michel Charette pète dans la nouvelle émission de TVA Le bonheur. Il interprète un prof «à boute» qui insulte violemment l’intelligence et la qualité du français de ses élèves, suscitant les applaudissements des générations plus âgées qui considèrent la scène «hilarante» et «tellement vraie» sur les réseaux sociaux. Mais est-elle vraiment siii juste? 

«Je pense que cette situation est criante de vérité, oui, mais à propos d’un préjugé et d’un conflit générationnel selon lequel la génération qui nous suit n’est pas digne de ce qui nous représente», estime Marie-Hélène Giguère, professeure au Département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM. 

Les jeunes d’aujourd’hui ne seraient pas moins intelligents que ceux d’hier. Depuis toujours, les générations antérieures ont chialé contre les plus jeunes. La preuve, cette citation de Socrate: «Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans.» On croirait entendre un de nos contemporains. 

La professeure croit que les jeunes d’aujourd’hui savent écrire le français comme leurs parents, «c’est-à-dire pas mieux ni moins bien». 

https://www.youtube.com/watch?v=25YsmTLwvEY

Une éducation plus large 

«Ce qui a changé entre les boomers et la génération actuelle, c’est que la société a l’ambition de scolariser tout le monde, pas seulement les classes supérieures de la société», souligne-t-elle. 

«On inclut à l’école des élèves handicapés et ayant des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage. On a pour but de les instruire, les socialiser, les qualifier, alors qu’avant, on les laissait quitter l’école quand ça n’allait pas, poursuit-elle. On a l’objectif social d’en faire des citoyens responsables et on a délégué à l’école le soin de leur enseigner l’éthique, l’économie, la sexualité, l’informatique, l’art… Tout cela en plus de la lecture et de l’écriture, des sciences et des mathématiques. Les premiers boomers apprenaient l’arithmétique, le français et la catéchèse. Ça réduit pas mal les connaissances: ils pouvaient donc passer plus de temps sur l’orthographe, mais, entre vous et moi, savoir orthographier n’est pas synonyme de savoir écrire.» 

En d’autres termes, ce n’est pas parce que les plus vieux ont souffert de devoir apprendre par cœur le Bescherelle que les jeunes devraient en baver à leur tour. Les méthodes d’enseignement évoluent. Elles permettent notamment aux jeunes d’avoir une plus grande ouverture sur le monde et des priorités en phase avec le contexte actuel. Il y avait, par exemple, peu ou pas d’ordinateurs dans les écoles il y a 30 ans. C’est dire.  

Il faut aussi mentionner qu’avec les réseaux sociaux l’écriture est aujourd’hui beaucoup plus visible qu’elle ne l’était à l’époque. Avant l’arrivée des blogues et de Facebook, une fois les classes terminées, les écrits demeuraient dans les cahiers individuels rangés dans les pupitres, pas étalés sur la place publique.

«Un ramassis de mythes» 

Si la scène a suscité l’enthousiasme de plusieurs téléspectateurs, d’autres expertes en langue l’ont beaucoup moins appréciée. 

«Cet extrait est un ramassis de mythes sur le français et sur la langue des jeunes», dit Sandrine Tailleur, professeure agrégée à l’Unité d’enseignement en sciences du langage et de la communication de l’Université du Québec à Chicoutimi. 

«Le personnage de Michel Charette ne pourrait pas avoir plus tort dans son raisonnement. Il s’agit d’une opinion prétentieuse et non fondée sur la science de la langue», avance pour sa part Béatrice Réa, linguiste au Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec. 

Dans la séquence, les auteurs de la série s’attaquent effectivement à la langue des jeunes en ridiculisant la nouvelle orthographe et l’écriture inclusive, en disant notamment que les ados veulent changer le genre d’une chaise. «Mais aucun jeune ne veut changer le genre des noms communs», assure Béatrice Réa. 

L’écriture inclusive s’applique seulement aux noms animés, comme des noms de métiers, qui réfèrent à des personnes, «et les jeunes le savent», croit Sandrine Tailleur.  

La professeure estime, en fait, que l’extrait utilise la langue française pour parodier le mouvement woke

Une nouvelle orthographe dite «rectifiée» a cependant été lancée afin de «simplifier l’écriture des mots, d’uniformiser certaines règles et éliminer certaines anomalies de la langue», explique la plateforme éducative Alloprof. Ainsi, le pluriel de certains noms, l’usage du trait d’union, des accents et du tréma ont notamment été simplifiés.

Des critiques dangereuses 

Il y a des risques à perpétuer des mythes tels que ceux présentés dans la scène en question à heure de grande écoute et avec des comédiens connus, selon la linguiste Béatrice Réa.  

«Ce genre de scène vient creuser encore plus le fossé entre les générations et crée un sentiment d’isolement chez les jeunes.» 

La spécialiste de la langue estime que si les jeunes continuent d’être constamment critiqués par rapport à leur usage du français, las de se faire dire qu’ils sont nuls, ils vont se retourner vers une langue plus permissive, plus ouverte à la variation, comme l’anglais. Les critiques à leur égard ne feraient que créer de l’insécurité linguistique et causeraient un désintérêt. 

«Le pire est que ce sont les gens qui se prétendent de grands défenseurs de la langue française qui sont les plus critiques des jeunes et ce sont eux qui servent le moins leur cause», indique-t-elle. 

«Il est dommage de conforter les boomers dans leurs opinions [défavorables à l’égard des jeunes] avec cette scène [parodique] qui peut coûter cher à l’avenir de la langue française et à la santé mentale des jeunes.» 



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