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Verts pas à peu près, ces Montréalais frôlent l’autosuffisance 

Clélia Sève, son conjoint Alex Lefrançois-Leduc, et leurs deux enfants.
Clélia Sève, son conjoint Alex Lefrançois-Leduc, et leurs deux enfants. Photo: Gracieuseté

Autosuffisance, mouvement zéro déchet: de plus en plus de personnes adoptent un mode de vie écolo dans la région métropolitaine. Mais pour certaines, les moyens d’agir sont sans limites… ou presque. Portrait de gens terre à terre qui ont BIEN plus que le pouce vert.  

Claudia, ultra verte et plus loin encore 

En pleine entrevue, Claudia Balsalobre s’interrompt en toussotant et riant légèrement.  

«C’est très rigolo! Ça sent l’alcool, car j’ai fermenté des fèves de cacao pour mon chocolat», lance la fondatrice de la chaîne YouTube et du site écolo Fait Maison.  

La fermentation n’a plus de secret pour celle qui tend vers l’autosuffisance et le zéro déchet depuis plusieurs années.  

«Tous mes légumes sont fermentés! Je gaspille beaucoup moins», précise-t-elle.  

Claudia Balsalobre dans un champ dans sa maison, dans les Laurentides.
Claudia Balsalobre dans un champ près de sa maison dans les Laurentides. / Photo : Gracieuseté

C’est qu’elle se consacre à une mission: respecter la nature et trouver une utilisation à tous les déchets (pour le peu qu’elle en a).  

Elle a même posé une boîte de don devant chez elle pour collecter les déchets ou les cartons que les gens ne veulent plus. Mais pour elle, ces derniers sont avant tout de la matière. C’est ce qui inspire la démarche artistique et méditative derrière la création de ses bijoux.

«En 2004, j’ai fondé ma compagnie, Bijoutia, et je me suis mise à collecter les ordinateurs pour faire de l’art et des bijoux recyclés, précise-t-elle. Avec la pandémie, j’ai perdu beaucoup de points de vente et j’ai remplacé ma boîte de collecte d’ordinateurs par une boîte de collecte de matières.»  

Outre sa boutique et son blogue de conseils, Claudia consacre le reste de son temps à produire tout ce dont elle a besoin pour vivre: savon, aliments, vêtements, et même son détergent qu’elle fait à partir d’une sorte de potasse faite à partir de cendres de foyer.  

«Je fais pousser tous mes légumes que je congèle, je fais mes bouillons de poulet et je fais aussi mon propre papier de toilette avec de vieux pyjamas d’enfants. Je fais mon kéfir et je fais mes fromages avec des techniques à l’ancienne», énumère-t-elle.  

Roulant à vélo à Montréal, elle ne se permet la voiture que pour se rendre dans les Laurentides dans sa deuxième maison, où elle composte et jardine.  

Fleurs, légumes, fruits, baies: tout y pousse!  

«J’ai trois cerisiers, j’ai quatre pommiers, deux poiriers, trois noisetiers, j’ai une forêt entière de bleuets, j’ai des framboisiers, j’ai des camérisiers, révèle-t-elle. Je suis cueilleuse l’été: je cueille beaucoup de tisane et j’en donne aussi à des organismes, comme du thé des bois, des thés du Labrador, du myrique baumier, du sapin baumier.»  

Éventuellement, elle souhaite s’établir à temps plein dans les Laurentides avec son mari pour leur retraite. Elle rêve de posséder des chèvres ou des vaches et de devenir encore plus autosuffisante.  

«J’aimerais bien un jour avoir des animaux, de petites choses poilues qui pourraient me donner mon lait pour mes fromages; ça serait génial», s’esclaffe-t-elle.  

Clélia, faire mieux tout simplement 

Il y a une dizaine d’années, atteinte d’écoanxiété, Clélia Sève a décidé de devenir le plus écologique possible. «Quand j’étudiais à l’université, j’ai vu des gens de mon programme de philosophie acheter des chandails faits au Mexique pour un comité dans lequel j’étais et cet événement anodin m’a fait réaliser que je devais changer mon mode de vie», confie-t-elle.  

La mère de famille de 32 ans a créé deux organismes à Montréal pour protéger l’environnement, en plus de Mères au front, un regroupement de mères militant pour un avenir plus vert à léguer aux générations futures.    

Son implication écologique s’est accrue lorsqu’elle a décidé de devenir végétalienne à 25 ans après avoir reçu un diagnostic de maladie cœliaque.  

«Manger sans gluten, ça a été tout un accomplissement, affirme-t-elle. […] Mes filles étaient végétaliennes, mais là on est végétariens. C’est très stressant de faire manger un enfant de manière équilibrée. Ce n’est pas toujours facile de conjuguer mes valeurs avec ma vie contemporaine.»  

Clélia Sève, son conjoint et un de leur enfants dans le quartier Sud-Ouest, à Montréal. Le couple s'est aussi impliqué dans la création de deux ruelles vertes.
Clélia Sève, son conjoint et un de leur enfants dans le quartier Sud-Ouest, à Montréal. Le couple s’est aussi impliqué dans la création de deux ruelles vertes.

Véganes ou végés, les membres de la famille, qui vivent aujourd’hui dans le quartier du Sud-Ouest, font plusieurs efforts pour réduire leur empreinte écologique. 

«On achète juste biologique et non transformé, j’ai des paniers d’été et d’hiver et on fait affaire avec Lufa. C’est la base des écolos, alors on le fait», affirme Clélia.  

Elle congèle également quantité de légumes afin d’être nourrie adéquatement tout l’hiver. Et s’il y a des achats à faire, ce n’est que de seconde main.  

En plus de se déplacer à vélo (ils n’ont pas auto), Clélia et son conjoint font tous leurs produits ménagers à la maison, ainsi que certains remèdes naturels comme des sirops pour la toux.  

«Je mange presque ma cire à épiler parce que c’est en fait des bonbons! C’est simple à faire. On n’achète aucun cosmétique», ajoute-t-elle.  

L’un des aspects les plus difficiles à accepter pour les tourtereaux, c’est les couches lavables. Mais Clélia a développé un truc plutôt ingénieux afin d’éviter de gérer les numéros 2 (et rassurez-vous, ce n’est pas de faire de l’engrais).  

« Quand on voit que notre enfant va faire caca, on l’amène directement en haut de la toilette et il fait caca grâce à un siège adapté. On sauve une couche lavable», s’exclame-t-elle.  

Malgré ces gymnastiques domestiques au quotidien, Clélia se réjouit de vivre en osmose avec ses valeurs et chérit ces défis qui lui apportent beaucoup de plaisir.

«J’avais besoin de défi et de nouveauté, lance-t-elle. J’aime apprendre. Il faut juste y aller étape par étape et choisir un truc [à maîtriser complètement], comme commencer par ne plus acheter de produits ménagers.»  

Pas parfait, et c’est normal  

Bien entendu, être 100% zéro déchet est très difficile, explique Clélia. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle ne se met pas trop de pression.  

«On a un chat qui mange de la viande, on prend du poulet plutôt que du bœuf, indique-t-elle. On n’a pas d’autre solution que l’avion pour voir ma famille en France une fois par année. C’est notre seul péché.»  

Même chose du côté de Claudia, qui refuse de se mettre dans un «pot Mason avec trop de contraintes», image-t-elle.  

«C’est toujours progressif. Il faut apprivoiser la chose un peu comme le renard dans Le Petit Prince. Je ne suis pas dans le changement radical. Je ne juge pas l’autre, car si on juge, on perd la personne», souligne-t-elle.  

Progressif est bien le mot clé ici. Pour Claudia, ce qui est le plus contraignant dans son mode de vie est le manque de temps.  

Il n’y a pas un jour où je ne fais rien.Beaucoup de gens jettent, car ils n’ont pas le temps de récupérer ce qu’ils achètent. Les gens vivent contre le temps. Mais dans l’autosuffisance, il faut prendre le temps de se demander: est-ce que je vais utiliser tout ce que j’achète?  

Claudia Balsalobre

Selon Nathalie Ainsley, chargée des relations de presse pour l’Association québécoise zéro déchet, il n’est pas du tout hypocrite de produire des déchets puisque l’objectif du mouvement est surtout de réduire l’empreinte écologique, selon elle.  

Ainsi, inutile de s’offusquer si on mange un sac de croustilles une fois de temps en temps.  

«On vit avec le terme “zéro déchet”, on vit avec parce que c’est sexy, mais on n’est pas 100% zéro déchet. On tend vers le zéro déchet, nuance-t-elle. On n’a pas d’objectif à atteindre ou de feuille qui dit le nombre de déchets à réduire.»  

Elle estime aussi que le mouvement est loin d’être un mouvement de souffrance ou de privation: c’est d’ailleurs les personnes qui se mettent trop de pression qui s’adapteront le moins bien, selon elle.   

«C’est possible de se divertir, de voir des amis et de réduire sa consommation, affirme-t-elle. Chaque personne a ses limites. Il y a tellement de gestes différents qui sont mis de l’avant: adopter l’alimentation végétale, changer le transport, acheter moins d’appareils électroniques, etc.»

Et ces gestes ont de nombreux avantages selon elle, et pas juste pour le portefeuille.     

«Il y a des avantages sur le plan de la santé, mais c’est aussi que l’on contribue à une cause qui est plus grande que soi», indique Mme Ainsley.  

Une empreinte fragile  

D’après Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM, l’empreinte écologique est plus difficile à déséquilibrer qu’on ne le croit.  

Même si tout geste est important, la consommation responsable est aussi loin d’être bien comprise ou appliquée de la même manière par tous.   

«Ce dont on se rend compte, c’est qu’il n’y a pas une très bonne connaissance des gestes qui ont le moins d’impact sur l’environnement et les gaz à effet de serre par le citoyen, explique-t-il. Ils vont penser que leurs gestes sont les meilleurs, mais ce n’est pas toujours forcément le cas.»  

Au bout du compte, votre T-bone saignant ou vous rendre à votre épicerie en vrac en auto pourrait faire basculer le bilan de votre empreinte du côté négatif, et ce, même si vous êtes adepte du zéro déchet.  

«Si on prend le consommateur québécois moyen, ce qui réduit le plus l’empreinte c’est le transport automobile et aérien, indique-t-il. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut réduire cela. Le deuxième, c’est l’alimentation, comme la viande rouge.»  

À cela s’ajoute aussi l’inflation à l’épicerie, qui peut agir comme frein lorsqu’on souhaite payer plus cher pour acheter local ou plus éthique.  

«Même si les gens veulent moins consommer, ils vont aller vers les produits les plus abordables possibles, déplore-t-il. Et il n’y a pas forcément de produits écoconçus dans cette catégorie. Il doit y avoir de l’investissement des autorités pour rendre plus accessible la consommation [responsable].»  

Cela dit, l’autosuffisance ou le mouvement zéro déchet amènent les gens réfléchir à leur consommation, ce qui est une bonne chose, selon lui.  

Quoi qu’il en soit, la fierté du travail accompli vaut bien tous les efforts, selon Claudia. «Après [être devenu écoresponsable], on ne mange plus de la même façon: je passe 12 mois sur le fromage, je les caresse, les retourne. On a une prise de la conscience du travail qu’il y a derrière. » 

«Ça transforme les choses désagréables en choses agréables, ajoute Clélia. Je pense qu’on est fiers de cuisiner des produits locaux et biologiques.»  

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