La petite histoire du divorce au Québec
Si aujourd’hui divorcer est tout à fait normal (bien que souvent douloureux) lorsqu’on se rend compte que notre mariage ne fonctionne plus, ça n’a pas toujours été le cas. La docteure en sociologie Annie Cloutier revient pour Métro sur les dates et phénomènes qui ont changé notre rapport au divorce.
En s’intéressant aux chiffres, on observe qu’il y a eu deux gros pics dans le nombre de divorces au Québec. Deux hausses qui coïncident avec deux innovations dans la loi, explique Annie Cloutier, qui est aussi professeure au cégep Garneau.
1968 et 1986
La toute première loi fédérale concernant le divorce a été votée en 1968, sous Pierre Elliott Trudeau. Avant cette date, chaque province fonctionnait selon sa propre loi en la matière et, au Québec, il n’y en avait tout simplement aucune. Divorcer n’était alors pas impossible, mais s’avérait compliqué puisqu’il fallait entreprendre des démarches juridiques complexes.
«C’était difficile avant cela de divorcer, il fallait qu’il y ait une atteinte vraiment grave aux lois du mariage», souligne la sociologue.
La loi sur le divorce de 1968 est donc venue changer la donne. Grâce à cette loi qui s’appliquait dans toutes les provinces, il était désormais possible de mettre fin au contrat de mariage en cas de violation de la loi conjugale, mais aussi après trois ans de séparation.
Dans les années qui suivent, on voit d’ailleurs «le taux de divorce monter drastiquement». Le nombre de divorces est en effet passé de 4887 en 1970 à 19 275 en 1981, soit une augmentation de 14 388 en 11 ans.
Le plus haut pic sera toutefois atteint en 1987: on passe de 15 918 divorces en 1985 à 22 533 divorces en 1987. Mais pourquoi cette nouvelle hausse?
Encore une fois, la montée du nombre de divorces s’explique par une modification dans la loi. C’est qu’en 1986, la Loi sur le divorce est réformée: l’échec du mariage ou une séparation effective d’au moins un an sont reconnus comme des motifs suffisants pour demander un divorce.
Source : Institut de la statistique du Québec
Source : Institut de la statistique du Québec
Source : Institut de la statistique du Québec
Un nouveau rapport au mariage
Depuis les années 1990, le nombre de divorces connaît une baisse progressive en même temps que les mœurs évoluent. Bien que certaines personnes choisissent encore de se marier, décider de ne pas le faire est de moins en moins critiqué plus les années passent.
Un changement dans les mœurs qui s’explique notamment par la place beaucoup moins importante que prend la religion depuis quelques décennies ainsi que par la montée du féminisme et de l’émancipation des femmes dans les années 1970, au Québec.
Peut-on en déduire que de ne pas se marier était alors une revendication féministe? «Là, on est rendu deux, trois générations plus tard, donc cela joue moins dans la psyché des femmes […] parce que la plupart de celles qui se marient ont maintenant leur propre revenu et leur indépendance. Mais ça l’a incontestablement été», répond la sociologue.
Au fil des décennies, plutôt que d’être vu comme une injonction, le mariage devient de plus en plus un choix. «On pourrait poser l’hypothèse que maintenant, lorsque les gens se marient, ils le choisissent et sont peut-être plus motivés, donc restent mariés plus longtemps», avance-t-elle.
Nos habitudes ne cessent d’évoluer, souligne d’ailleurs la sociologue. «Aujourd’hui, on a une panoplie de façons de vivre sa vie amoureuse, sexuelle, familiale», remarque-t-elle, citant par exemple le polyamour. De nouvelles configurations pourraient donc venir bouleverser notre manière d’appréhender les phénomènes entourant la sociologie de la famille, comme les divorces et les mariages.
Vers un nouveau pic?
En attendant, les chiffres les plus récents, compilés pendant la pandémie de COVID-19, montrent qu’en 2020, le taux de divorce a été le plus bas enregistré au Québec depuis 1973 avec 8559 divorces dans la province, selon Statistique Canada.
La sociologue n’exclut toutefois pas la possibilité que le taux de divorce reparte à la hausse dans les prochaines années, puisque la baisse marquée du nombre de divorces observée récemment pourrait être attribuable à l’insécurité financière ou au fait que «les services de médiation et de divorce étaient moins accessibles» en contexte pandémique… À suivre.