Donner une soupe à son prochain
Ghislain Prud’homme a récemment lancé ce projet à son restaurant de la rue de Charleroi. Lorsqu’un client le désire, il peut donc acheter deux soupes, mais n’en manger qu’une seule.
La seconde sera servie gratuitement à un client moins fortuné qui en fera la demande. Un tableau a été installé dans la vitrine pour indiquer combien de soupe a été achetée et combien ont déjà été mangées.
« La soupe en attente a un double objectif : elle sensibilise les gens à faire des dons et assure que ceux-ci vont vraiment à la bonne place », raconte M. Prud’homme qui se réjouit de la participation de sa clientèle, une semaine après avoir lancé le concept.
Le restaurateur ne craint d’ailleurs pas que la présence de personnes démunies ne fasse fuir sa clientèle régulière. Il encourage même cette mixité sociale.
« Je trouve ça triste qu’on construise des immeubles pour les personnes âgées, d’autres pour les jeunes, pour les handicapées, etc. On fait des ghettos. C’est tellement enrichissant lorsque tout le monde vit ensemble. Si les personnes ne se parlent pas, elles ne peuvent pas comprendre ce que l’autre vit et ça favorise les préjugés », explique-t-il.
Un don de qualité
Chez Agrigourmet, il n’y a pas de différence entre la soupe servie aux clients et celle servie aux personnes démunies. Les participants font donc un don d’une qualité supérieure à ce qui se retrouve généralement dans les banques alimentaires.
« Chez Moisson Montréal, on trouve beaucoup de « junks » et de légumes périmés. Ce n’est pas étonnant que les gens choisissent du kraft dîner qui a une durée de vie de 5 ans, plutôt que des légumes pourris », souligne M. Prud’homme.
Il estime pourtant que plusieurs personnes feraient le choix d’aliments frais, s’ils en avaient les moyens.
« Même les jeunes toxicomanes veulent être en santé. C’est quelque chose qui tient à cœur de tout le monde », croit-il.
Selon lui, un simple changement d’alimentation peut être le premier pas vers un mode de vie plus sain.
« C’est une roue, dit-il. Les gens mangent mal parce qu’ils se sentent mal alors, ils se sentent encore plus mal. Ils n’ont pas d’énergie parce qu’ils manquent de vitamines. Une fois qu’ils mangent mieux, ils se disent qu’ils pourraient marcher plus et ainsi de suite. Lorsqu’ils mettent le pied dans l’engrenage, ça entraîne de nouvelles habitudes de vie. »
Restaurateur et travailleur social
Avec sa longue carrière dans le milieu communautaire, M. Prud’homme offre plus que de la nourriture saine à ses clients : il offre un contact humain. Même s’il a décidé de se lancer en affaire à l’âges de 52 ans, l’ancien directeur de l’organisme d’aide alimentaire le Chic resto pop n’a jamais perdu sa vocation.
« On peut sortir le gars du communautaire, mais on ne peut pas sortir le communautaire du gars », admet M. Prud’homme.
Chaque jour, le restaurateur intervient donc auprès des gens du quartier sans pour autant porter le chapeau de travailleur social. De cette façon, il estime qu’il peut rejoindre les gens qui passent entre les mailles du filet.
« Il y a un jeune du coin qui a des problèmes de psychiatrie et qui s’automédicamente. Il vient chercher des pots de sauce et on en profite pour parler. Je ne lui donne pas des conseils, mais je l’incite à aller voir des spécialistes et des petites affaires comme ça. Je l’ai vu ce matin et il allait mieux, pourtant le mois dernier il était en crise et il s’est fait ramasser par la police », raconte M. Prud’homme.
Le restaurateur reçoit parfois des témoignages qui lui permettent de constater qu’il fait réellement une différence. Un homme dont la fille a perdu la vie lui a récemment dit que sa seule présence lui a sauvé la vie.