Au nom de la dignité humaine
Sensible au sort des plus démunis, Emmanuelle Bolduc rêve d’être reconnue comme coiffeuse de rue. Une fois par mois, elle propose gratuitement ses services aux femmes et aux hommes du Sud-Ouest qui vivent une situation de précarité.
Au deuxième étage de la Maison Saint Columba à Pointe-Saint-Charles, le soleil éclaire la pièce transformée momentanément en salon de coiffure. Sur une table, on aperçoit les ciseaux, rasoirs, peignes et huile à barbe.
Avec ses doigts, Emmanuelle Bolduc lisse chaque mèche d’une jeune quadragénaire. «D’habitude, confie Mireille, c’est mon chum qui fait ma coloration et ma coupe de cheveux. Ce n’est pas un coiffeur, mais il fait de son mieux.»
Satisfaite de cette première expérience, Mireille souhaite revenir le mois prochain. «Ma chum de fille vient de payer 110$ pour sa coupe et sa coloration, moi je n’ai pas les moyens», ajoute-t-elle.
Prise de conscience
Cinq ans plus tôt, Emmanuelle Bolduc travaillait dans un salon de coiffure. Elle a commencé à ressentir un malaise de demander 200$ pour une pose de mèches. «Je me disais qu’avec cet argent, le parent pourrait faire une belle activité avec ses enfants», explique la coiffeuse.
La jeune femme de 34 ans a déjà coiffé des vedettes sur un plateau de cinéma américain. «Mais ce n’est pas cela qui me nourrit», confie-t-elle.
Mme Bolduc doit cette prise de conscience à une amie qui travaillait en 2014 sur un projet de réinsertion sociale avec les itinérants. Spontanément, elle s’est offerte pour refaire une beauté à ces personnes. Résultat: plusieurs ont commencé à travailler ou trouver un logement.
«Il y a un lien entre le fait de se sentir beau ou belle et bien dans sa peau. Quand on se présente pour une entrevue, on ressent une plus grande confiance en soi», fait-elle valoir.
Préjugés
En parlant de ses protégés, Emmanuelle Bolduc n’aime pas utiliser le mot itinérant. Certains vivent de l’aide sociale ou de prestations du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels en raison d’agressions sexuelles. Tous vivent une situation de précarité. Parfois, une rupture difficile bouleverse une vie. Elle cite le cas d’un ancien propriétaire d’immeubles. Après le divorce avec sa femme, ce dernier a commencé la drogue et il en est devenu accro. Il a tout perdu.
Au fil de ses nouvelles rencontres, Mme Bolduc découvre toujours le côté humain de chacun. Elle se dit touchée par la sincérité de leurs remerciements. L’un de ses clients réguliers, Steven Wells était nerveux lors de sa première coupe.
«Emmanuelle a le don de nous rendre à l’aise et elle très méticuleuse. Tous repartent d’ici avec un sourire», explique-t-il.
Projets
Maman d’un enfant de 10 ans, Emmanuelle Bolduc continue aussi de coiffer à domicile chez des clients. Cette année, elle veut poursuivre ses démarches afin de devenir coiffeuse de rue à temps plein. Son projet Phenix évoque un oiseau qui renaît de ses cendres dans la mythologie grecque.
«Je ne lâche pas le morceau, écrit-elle sur Facebook, et j’irai jusqu’au bout pour faire changer les choses au nom de la dignité humaine de chacun.»
Cet été, elle vise coiffer dans les parcs, campings de Montréal et du Québec et visiter les communautés autochtones. Suivie par plus de 8500 abonnés sur les réseaux sociaux, Mme Bolduc a inspiré un jeune père de famille de Grande-Bretagne. Celui-ci a commencé à couper des cheveux aux sans-abris à Londres.
3 149
3 149 itinérants ont été répertoriés le 24 avril 2018 à Montréal, selon le Rapport du dénombrement des personnes en situation d’itinérance, dévoilé en mars 2019 par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.