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Ce n’est pas parce qu’on en rit que c’est drôle

Frédéric Bérard

– Dans le fond, Bill Gates a créé le virus en laboratoire pour réduire la population mondiale. Il l’avait annoncé il y a une couple d’années.
– Donc la pandémie existe…
– Ben non! J’viens de te le dire, il l’a créée dans un labo! Pour vendre son vaccin, tu comprends?
– Donc elle existe…
– Mais pas pour vrai!! Juste pour vendre des vaccins pis nous micro-pucer…
– Peu importe la source, raison ou cause, bout de christ, elle existe quand même…
– NON!… ils sont en train de nous faire la même chose qu’Hitler avec les Juifs, tu comprends…?

Un parallèle avec Shoah, sérieux? François et Adolf, frères idéologiques? Ciboire. Me saute dans la face l’aphorisme suivant : «Ce n’est pas parce que l’on rit que c’est drôle.» C’est même à se demander s’il est encore permis de rigoler. Parce que peu importe la posture, approche ou attitude employée face au mouvement, reste que ce dernier ne revêt rien de comique. Plutôt d’une désolante tristesse. D’abord en raison de la régression prouvée, depuis les années 1980, du quotient intellectuel collectif. Ensuite, et je le dis en tout respect, de la prolifération de maladies mentales. Enfin d’un constat d’une cruauté sans nom : l’indubitable échec, ici comme ailleurs, de nos systèmes d’éducation. Un Québécois sur quatre, rappelons-le, croit que le présent virus a été créé en laboratoire. Vingt. Cinq. Pour. Cent.

Pas drôle du tout, donc. Mais vraiment pas. Surtout lorsque l’on vit en démocratie. Quel rapport? Celui qui fait en sorte que dans un régime comme le nôtre, et au risque de vous servir une plate lapalissade, les dirigeants sont assujettis à une reddition de comptes citoyenne. Que le peuple a, de droit naturel, la capacité de confirmer ou refuser le renouvellement du mandat de ses élu.es, et les remplacer, le cas échéant, à la première occasion utile.
Or, avec un mouvement complotiste en pleine effervescence, et comme la morale politique résiste mal à l’envie de se bourrer la face de votes faciles, il est à craindre que le Québec, ou encore l’ensemble du Canada, tombent à leur tour dans le piège du populisme 2.0. Parmi les modèles disponibles, pensons à un Trump+, si une telle chose était possible, ou encore à un Bolsonaro version amplifiée. Qui aura l’honneur de placer au pouvoir le prochain grand timonier de la déchéance sociale? Le futur (et dernier) fossoyeur du genre humain, direction dépotoir des espoirs, là où règne méfiance, haine et refus de la science?

Et j’oubliais : au moment de blaguer sur les dernières recherches de Lucie Laurier, la fonte de la calotte glacière a atteint un point de non-retour, sort d’ailleurs bientôt réservé aux glaciers argentins, et que plus de 8 000 km2 de la Californie ont flambé depuis le début des incendies des dernières semaines, sous l’oeil partisan, d’aucuns diront amusé, du président Trump.

La solution? Aucune idée. Certains plaident l’éducation. Impossible d’être en désaccord. Sauf qu’avant de ressentir socialement les effets et impacts d’une réforme d’importance, un minimum de 20-30 ans seront requis, luxe inexistant en ce moment. D’autres avanceront l’idée d’entamer le dialogue avec un complotiste près de chez vous. Cool aussi, mais quel espoir de le convaincre de l’inexistence de Satan? De pizzerias-pédo? De l’absence de liens idéologiques entre Arruda et Goebbels? Parce qu’une fois que t’as dit

«Dude, crois-moi, si Satan existait, il porterait son ti-masque, et nous crisserait patience», t’ajoutes quoi?
Foutue, donc, l’humanité? Peut-être mieux d’en rire.

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