Regard sur des travailleurs d’ailleurs avec le photographe Drowster
Pendant plus de cinq ans, le photographe Drowster a parcouru le monde, glanant au passage des portraits d’hommes aux métiers difficiles, méconnus ou insolites. Vendeur de sodas, réparateur de lampes et laveur de vitres se retrouvent ainsi liés dans un livre – Travailleurs– qui porte sur eux un regard profondément humain.
Comment est né le projet?
Entre 2014 et 2016, j’ai eu la chance de faire de nombreux voyages et à chaque fois que je découvre un endroit, j’aime me promener et photographier les gens. Un jour je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de portraits d’hommes, de travailleurs, et que je pourrais peut-être faire quelque chose avec ça. J’en ai parlé autour de moi et des amis m’ont suggéré d’en faire une série.
Comment as-tu fait pour trouver ces personnes? Choisissais-tu d’avance les portraits que tu voulais faire?
Quand je me promène dans une ville ou dans un lieu nouveau, j’adore marcher dans les rues et me perdre. Je pars juste avec une boussole. Ça me permet d’aller hors des sentiers battus. En fait, je n’ai pas d’idée préconçue du genre de personnes que je veux photographier. Je m’attarde plutôt sur un caractère, un personnage, une personne visuellement intéressants.
Pourquoi les travailleurs t’intéressent autant?
Je suis profondément fasciné par l’importance qu’a le travail dans nos vies. Ça prend une énorme partie de notre temps, comme si l’être humain était finalement voué au travail. Ce que j’ai voulu faire avec ce livre, c’est à la fois montrer la dignité des travailleurs et documenter des métiers voués à disparaître. Je voulais me placer vraiment dans le rôle de l’observateur.
Justement, quel est le rôle du photographe selon toi?
Mon travail, c’est d’être sur le terrain pour raconter des histoires, montrer des personnages et des situations réels. Ma caméra m’a emmené dans des endroits où je ne serais jamais allé autrement. J’ai assisté aux derniers instants d’une mourante parce que j’avais ma caméra, je suis allé en Arctique parce que j’avais ma caméra, j’ai pu entrer en Corée du Nord parce que j’avais ma caméra. Je me sens à ma place avec ma caméra.
Je crois que la photo est un outil puissant qui peut être vecteur de changement. Celles de Lewis Hine sur le travail des enfants aux États-Unis, par exemple, ont appuyé son abolition au début du XXe siècle.
Peux-tu nous parler de rencontres qui t’ont particulièrement marqué?
En Arménie, j’ai rencontré un fossoyeur et un sculpteur de pierres tombales. Il faisait sombre ce jour-là, à cause de la brume épaisse et les rues étaient vides. C’était vraiment macabre. Le fossoyeur creusait une tombe en s’aidant littéralement d’un seau pour faire des châteaux de sable. J’ai proposé plusieurs fois mon aide et il a fini par accepter. J’ai pris mes photos entre les moments où je l’aidais à creuser. Le sculpteur m’a ensuite invité à souper et j’ai passé la soirée avec eux. J’avais appris quelques mots d’arménien, mais on communiquait surtout avec le langage non verbal, avec des sourires. J’ai senti qu’ils reconnaissaient vraiment le respect que j’avais pour leur travail.
Que fais-tu en ce moment et qu’est-ce qui s’en vient?
L’année dernière je me suis rendu à Beyrouth au moment de l’explosion pour un reportage et je travaille sur un tout nouveau projet à Montréal. Je ne peux pas en dire plus, mais ça devrait sortir en 2022-2023.
Travailleurs, aux Éditions Cardinal, disponible en librairie, 49,95 $