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Que faire quand notre amie est dans une relation abusive?

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Une femme et un homme discutent sur la rue. Photo: Istock/martin-dm

J’ai reçu un message au sujet de la masculinité toxique et de la violence à l’égard des femmes, cette semaine, dans mes DM. L’ayant trouvé pertinent et important, j’ai décidé d’y répondre ici avec l’accord de son auteur. Le voici.

Bonjour Madame Boisvert,

Je suis étudiant à l’université et il y a une question que j’aimerais vous poser. On parle beaucoup de violence dans les couples ces temps-ci. On le sait que ça part majoritairement de l’homme. Comme vous le dites, évidemment, il y a une forme de masculinité toxique dans notre société. Et, personnellement, j’essaie jour après jour d’être plus près de mes sentiments et de les exprimer.

Ma question : j’ai une amie qui est présentement dans une situation potentielle de violence physique. Elle vit beaucoup de violence psychologique et j’essaie d’être présent pour elle. Cependant, cela fait 3 gars de suite qu’elle voit et c’est comme ça à chaque fois. La fille est brillante et je me demande: pourquoi elle continue constamment de se retrouver dans ce genre de situation? Est-ce qu’elle aime ça? Est-ce qu’elle est aveuglée? Honnêtement, je crois que c’est un nouveau syndrome. Je crois que certaines filles voient des hommes toxiques, mais qu’elles se disent: «Moi, je suis une femme forte, une femme qui a du succès, je vais être capable de le sortir de son monde difficile». Est-ce que vous pensez que c’est un problème que des filles puissent s’imaginer ça? Honnêtement, les trois gars l’ont juste amenée avec eux dans leur «marde».

Pensez-vous qu’on devrait mieux éduquer les femmes à reconnaître ce genre d’individus toxiques afin qu’elles évitent de se retrouver dans ce genre de situation? Je sais que mon amie n’est pas la seule. J’aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de cela? Désolé du roman 😅 à bientôt !

Jérôme

D’abord, Jérôme, décortiquons un peu la question, comme elle est complexe…

1. Pourquoi votre amie se retrouve-t-elle dans ce genre de relation?

A priori, la réponse est assez simple: parce qu’elle est tombée sur le mauvais garçon. C’est le fruit du hasard.

Il peut sembler incroyable qu’elle se retrouve trois fois consécutives dans une relation violente mais, comme me l’explique la psychologue spécialisée dans la violence conjugale Joane Turgeon, les probabilités qu’une femme soit victime de violence conjugale sont de 1/10. Et il n’y a pas de facteur qui accroît les risques de se retrouver dans cette dynamique.

Par le passé, des études avaient noté des caractéristiques qui semblaient prédisposer certaines femmes à être victimes d’hommes abusifs, comme le fait d’avoir une mauvaise estime personnelle. Mais, avec le temps, les chercheurs se sont rendus compte qu’ils avaient observé les conséquences d’être victime d’abus, et non les prédispositions.

«Et quand on dit que le risque est de 1/10, ça veut dire que chaque fois qu’on commence une nouvelle relation, on a 1 chance sur 10 qu’elle soit abusive. Disons que c’est un risque pas mal plus élevé que celui de gagner à la loto!» observe Mme Turgeon.

Le seul vrai facteur de risque, selon les chercheurs, est le fait d’être une femme.

2. Doit-on mieux éduquer les femmes à reconnaître les hommes abusifs?

Devant la violence conjugale, le réflexe est souvent de responsabiliser les femmes. Comme on le fait avec les agressions sexuelles, on «oublie» que la personne responsable d’une agression est l’agresseur, et on cherche des fautes du côté de la victime. On lui demande pourquoi elle n’est pas partie ou pourquoi elle a choisi un partenaire abusif au départ.

Différentes thèses expliquent ce réflexe qu’on a tous, notamment le fait que c’est à la victime, la plupart du temps, qu’on a accès, rappelle Mme Turgeon. Donc c’est sur elle qu’on veut agir.

Une autre explication est la théorie du monde juste, celle qui fait dire que «dans la vie, on a ce qu’on mérite». C’est un biais cognitif auquel on a recours pour se sentir en sécurité, se disant que la violence à laquelle on assiste ne pourrait pas nous arriver à nous. «Moi, je pourrais détecter dès le départ les signes qu’une personne sera violente et je l’éviterais», se dit-on.

On peut bien sûr sensibiliser les femmes à la problématique de la violence conjugale, comme vous le suggérez. Mais il ne faut absolument pas s’arrêter aux femmes. Il faut sensibiliser tout le monde, y compris les hommes.

D’ailleurs, vous semblez chercher à déconstruire la masculinité toxique, vous voulez mieux la reconnaître et être capable d’exprimer vos émotions. C’est évidemment un bon début.

Mais il y a aussi une certaine limite à ça. Parce que, très souvent, dans les cas de relations abusives comme celle dont vous parlez, le problème n’est pas que l’homme toxique n’est pas à l’écoute de ses émotions, mais plutôt qu’il n’est pas du tout prêt à reconnaitre et à respecter celles de sa blonde. Il est obnubilé par ses problèmes, par son ego, son insécurité et son envie de contrôle.

Joane Turgeon note que les conjoints abusifs vont même se servir de leurs émotions pour forcer leur partenaire à prendre soin d’eux. Ils s’en servent aussi pour s’assurer que l’accent, dans la relation, soit mis sur leurs besoins à eux, aux dépens de ceux de leur amoureuse.

3. Votre amie est-elle aveugle? Est-ce qu’elle aime ça?

Ce sont des questions normales que vous vous posez, surtout si vous observez que votre amie s’est retrouvée à plus d’une reprise dans cette dynamique.

Mais non, les femmes ne cherchent pas à être victimes d’hommes abusifs. Celles qui se retrouvent dans cette situation, au départ, croyaient rencontrer un homme gentil.

D’ailleurs, note Mme Turgeon, les hommes abusifs savent qu’ils ne peuvent pas, dès le premier rendez-vous, se montrer violents envers une femme, que ça passerait mal. Ils attendent de l’avoir séduite et plus tard, ils utilisent la violence psychologique, une stratégie qu’ils amènent de manière graduelle.

Rendre la femme affectivement dépendante de soi, c’est ça qui marche: faire du negging, diminuer son estime.

Joane Turgeon, psychologue spécialisée en violence conjugale

Les hommes abusifs alternent aussi leur méchanceté avec des «lunes de miel», soit des périodes où ils redeviennent ado-ra-bles. C’est ce qui prend la victime au piège. Elle perd ses repères. Et comme l’homme se montrait sous un beau jour au début de leur relation, elle n’a rien vu venir. Donc, oui, on pourrait dire qu’elle est aveugle, parce qu’il l’a aveuglée.

4. Que peut-on faire quand notre amie est victime de violence conjugale?

Il est d’abord et avant tout important de ne pas adopter la posture du sauveur, conseille Joane Turgeon. Il ne faut pas dire à notre amie quoi faire. Les victimes de violence conjugale sont souvent tirées par l’homme violent d’un côté et par leurs proches, de l’autre côté. C’est un jeu dangereux, parce que la victime peut s’isoler de nous pour éviter les problèmes. «Il faut la soutenir, la renforcer, la valoriser…»

Les meilleures interventions, ça a l’air de rien, mais ce serait, par exemple, de dire au chum de notre amie qui la dénigre devant nous : « Ben non, mon amie n’est pas niaiseuse. Pis, toi, t’es un gars intelligent, tu ne serais pas avec une fille niaisieuse! »

Joane Turgeon, psychologue spécialisée en violence conjugale

«On a envie de faire la leçon à notre amie, parce qu’on trouve que ce qu’elle vit n’a pas de bon sens – et on a raison», explique la psy. Mais ça ne l’aidera pas.

Il faut aussi lutter contre le mépris initial qu’on peut ressentir parce qu’on trouve notre amie faible de subir la violence. Collectivement, pense aussi Mme Turgeon, on est beaucoup trop complaisant à l’égard des agresseurs en ce moment, alors que ça reste eux la cause fondamentale du problème.

La bonne nouvelle est qu’une personne victime de violence conjugale peut tout à fait s’en remettre et vivre des relations saines par la suite. On peut guérir de la torture, assure-t-elle.

En espérant, Jérôme, que ces réponses ont éclairé votre lanterne et qu’elles continuent d’alimenter votre réflexion.

Désolée pour le roman 😉

Lili

Pour en apprendre plus : Comprendre la violence dans les relations amoureuses, par Joane Turgeon, psychologue spécialisée en violence conjugale

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