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Critiques non bienvenues: analyse de la rhétorique guerrière de la CAQ durant la pandémie

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé Photo: Josie Desmarais/Métro
Thomas Maxwell de l'Université du Québec à Montréal - La Conversation

ANALYSE – Thomas Maxwell, doctorant au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), s’intéresse aux mécanismes d’adhésion utilisée par le gouvernement caquiste. Il questionne l’utilisation d’une rhétorique guerrière par la CAQ qui selon lui, instille en la population une incapacité à penser la crise sanitaire au-delà de l’agitation politique et médiatique quotidienne.


L’instauration, le 31 décembre, d’un second couvre-feu en un an au Québec (seul endroit en Amérique du Nord à l’avoir imposé) a suscité de nombreuses critiques. Plusieurs ont dénoncé le caractère «symbolique», arbitraire et sans fondement scientifique du couvre-feu.

Le gouvernement caquiste a prétendu le contraire, s’entêtant à le faire passer pour efficace dans son effort de réduction de propagation des cas de Covid. Seul le mécontentement profond de la population et la baisse de la CAQ dans les sondages l’ont fait changer d’idée.

En tant que doctorant au département de communication sociale et publique de l’UQAM je m’intéresse aux mécanismes d’adhésion à des principes, valeurs ou discours et aux effets qu’ils produisent comme énoncés.

Je voudrais expliquer comment cette mesure s’inscrit plus largement dans une rhétorique guerrière utilisée fréquemment par la CAQ, et notamment par le ministre de la Santé, Christian Dubé, dans son message Facebook du 23 décembre 2021. Cette rhétorique à laquelle nous nous articulons collectivement, détermine les termes d’une langue dont il est difficile de sortir et envers laquelle il est donc difficile de formuler toute critique.

Métaphores guerrières

Depuis les débuts de la pandémie, au printemps 2020, les leaders occidentaux (Emmanuel Macron, Donald Trump ou François Legault) utilisent des termes guerriers pour qualifier la lutte à la pandémie. Récemment, en parlant de l’arrivée d’Omicron, Christian Dubé a déclaré : « Malgré tous nos efforts individuels et collectifs, un nouveau variant, un nouvel ennemi, plus contagieux, plus redoutable, vient encore changer les règles du jeu. On est en guerre contre Omicron et il n’a aucun état d’âme ».

Plaquer sur le virus un usage métaphorique de la guerre empêche toute tentative de comprendre et de penser cette crise sanitaire. Toute situation de guerre est par définition le résultat de situations où la violence et les affrontements sont stratégiquement organisés dans le but d’anéantir un ennemi sur notre territoire. Quoi qu’en dise le ministre de la Santé, ce n’est pas la réalité que nous expérimentons et tant mieux! Prendre pour ennemi un variant par ailleurs moins «virulent» que les précédents, qui n’aurait aucun «scrupule» à nous contaminer, c’est laissé un peu rapidement, et par aveu d’impuissance, le virus dicter nos actions. En maître absolu, il change encore les règles du jeu, alors il faut s’adapter à lui.

Cette stratégie rhétorique permet également de puissamment légitimer, comme en temps de guerre, le recours à des mesures draconiennes (tel le couvre-feu) dont on mesure à peine les conséquences pourtant très réelles sur la santé mentale, et l’impact direct sur certaines populations vulnérables (les personnes en situation de détresse conjugale, d’itinérance ou aux prises avec des problèmes de santé mentale) mais aussi, en général, sur nos libertés de mouvement.

L’utilisation de ces métaphores militaires («couvre-feu», «bataille», «front ou premières lignes», «soldats», «ennemi») finit par se retrouver dans le langage courant. Il m’est arrivé moi-même d’utiliser le terme de «couvre-feu» et immédiatement, de m’interroger sur ce qu’il cache, ce qu’il permet de faire faire aux individus, de quelle façon il neutralise toute critique en dissimulant dans le sous-texte un «c’est comme ça, on n’a pas le choix».

Ces mots instillent en nous une incapacité à penser la crise sanitaire au-delà de l’agitation politique et médiatique quotidienne saturée de ces mots.

De la critique des armes aux armes de la critique

Cette rhétorique qui nous assigne physiquement et linguistiquement à résidence anesthésie toute critique, surtout quand elle produit des formules autoperformatives de type «tenir bon» ou «ça va bien aller».

Ces incantations ne suffisent plus. Il nous faut radicalement questionner l’utilisation de cette rhétorique qui paralyse, sans avoir peur de s’exposer aux critiques. En d’autres termes, et pour rester dans un registre qui plaira à notre ministre de la Santé, il faut utiliser «les armes de la critique plutôt que de faire la critique des armes».

Le gouvernement a, à plusieurs reprises, fait la critique de ces armes qu’il a perçues comme une atteinte à sa légitimité en tant que «dépositaire de l’autorité» dans sa capacité à autoriser la parole et l’expertise de certains au profit d’autres. La CAQ a également muselé l’opposition en qualifiant de «complotiste», un député de l’opposition qui osait critiquer le maintien de l’état d’urgence. Cette attaque crée une coupure argumentative qui met fin à tout argument critique puisqu’«on ne débat pas avec des complotistes».

Les vraies batailles perdues

Les seules «batailles» qu’est en train de perdre le gouvernement à l’heure actuelle, c’est celles qu’il a refusé de livrer en ne protégeant pas adéquatement le personnel soignant lors de la première vague, et même la dernière, dans le dossier des masques N95. Il faut aussi parler de la ventilation dans les écoles ou de la 3e dose retardée.

Les critiques qu’adressent experts et professionnels (du réseau de la santé ou d’autres secteurs) sont plus que légitimes et justifiées. Cette rhétorique guerrière empêche toute réflexion pourtant fondamentale pour comprendre comment le Québec a géré la crise de la Covid-19.

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La Conversation

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