Démocratie, liberté de presse et Fitzgibbon
CHRONIQUE – L’affaire est passée, pratiquement, sous le radar. Celle-ci, du moins pour quiconque s’intéresse à l’État de droit et la démocratie, est pourtant sidérante.
Dans la foulée des récentes attaques du ministre Pierre Fitzgibbon envers le Journal de Montréal et ses journalistes, les libéraux jugent bon de déposer, en Chambre, une motion aux allures de tarte au sucre : interdire aux élu.es de s’en prendre personnellement à des journalistes, médias ou membres de la tribune de la presse. L’importance, en bref, d’éviter de remettre en cause le principe de la liberté de presse.
De la tarte au sucre, disions-nous. Sauf que même les principes les plus élémentaires sont, au Kaquistan, à risque. On se rappelle, pour seul exemple, le refus de la bande à Legault d’appuyer la proposition de motion des Amis de Joyce plaidant que tous les Québécois devraient, au final, avoir accès aux mêmes soins de santé.
Une fois la motion ici battue – d’ailleurs sans explication du leader parlementaire Jolin-Barrette – le principal intéressé, voire visé, allait en rajouter une (saprée grosse) couche : s’attaquant de nouveau à la crédibilité du Journal, Fitzgibbon ajoute qu’il n’accorde aucune crédibilité aux reportages fondés sur des sources anonymes. Évidemment. Incapable de s’arrêter en si bon chemin, il poursuit : les sources anonymes, justement, devraient être… révélées.
Si le dossier disciplinaire du super ministre est assez garni merci – son refus répété de s’assujettir aux règles les plus élémentaires d’éthique laissant pantois – reste néanmoins que son dernier coup de gueule, fût-il ou non assuré par la frustration, donne froid dans le dos.
Qui, en 2023, peut être suffisamment bête pour refuser l’importance de la liberté de presse et, plus particulièrement, du caractère névralgique de la confidentialité des sources journalistiques? De deux choses l’une, donc : soit Fitzgibbon patauge dans un océan d’ignorance, soit qu’il feint celle-ci. Rien, dans les deux cas de figure, n’est de bon augure.
Et au-delà de la personne du tout-puissant ministre, qui, de son gouvernement, a-t-il osé le rabrouer sur ses (malheureuses) déclarations? Personne. Cela, il va sans dire, inquiète encore davantage.
Parce que oui, sans vous apprendre quoi que ce soit, la liberté de presse constitue l’un des épicentres par excellence de la démocratie. Par preuve : pointez chaque régime à travers le globe qui la malmène et vous aurez, au bout du doigt, un État chancelant ou inexistant, démocratiquement parlant. Là où les journalistes sont intimidés, censurés ou même tués poussent, indubitablement, les racines de l’autoritarisme ou celles de son petit frère, le populisme.
L’importance de la confidentialité des sources participe, sans forcer, à cette même mécanique. Un exemple parfaitement canadien, et pas si lointain, suffit à s’en convaincre : le scandale des commandites. Fruit du « Plan A » des libéraux de Jean Chrétien visant à assurer la multi-présence canadienne sur le sol québécois, Ottawa devait refiler à des agences de communication et relations publiques des tonnes de contrats sauce visibilité.
Grossièrement exagérés en termes de montants – appelons ça en fait de la fraude -, une partie des sommes perçues par les agences était ensuite dirigée vers… la petite caisse du Parti libéral du Canada. De la grosse magouille, en bref.
Or, tant la vérificatrice générale que les partis d’opposition n’y ont vu que du feu. Idem, il va sans dire, pour l’électeur. Jusqu’à un coup de téléphone de Ma Chouette au journaliste Daniel Leblanc, du Globe and Mail. Ma Chouette? Le pseudonyme, à vrai dire, du ou de la fonctionnaire fédéral ayant communiqué avec Leblanc afin de lui refiler les détails du stratagème, preuves à l’appui. Après s’être assuré de la véracité de l’affaire – et de la confidentialité de sa source – le journaliste allait faire la lumière sur la plus scabreuse fraude de l’histoire canadienne récente.
Question : dans l’optique où son identité pouvait être divulguée au grand jour, peut-on sérieusement penser que Ma Chouette aurait, dans les mêmes termes, soufflé dans le sifflet de la dénonciation? Voilà.
En gros : pas de confidentialité, pas de source. Pas de source, pas d’enquête journalistique. Pas d’enquête journalistique, Fitzgibbon content.
CQFD.