Quatre conditions pour offrir de la formation à distance… même en classe
Alors que l’utilisation de la mention «Incomplet» a monté en flèche lors de la session précédente, les Cégeps anticipent une hausse soudaine du nombre d’inscriptions. À l’université, l’enseignement à distance a montré des avantages pour certains, alors que l’absence de contacts des étudiant.e.s a causé de l’inconfort chez d’autres. Que restera-t-il de l’enseignement à distance à l’automne 2021?
La campagne de vaccination allant bon train, tout indique que les étudiants et les enseignants reprendront le chemin des classes à temps plein à la rentrée. Or la formation à distance n’est pas appelée à disparaître totalement. Certaines institutions songent à offrir des formules mixtes, c’est-à-dire des cours en présence, hybrides, à distance ou selon tous ces modes en même temps.
Ainsi, l’offre de cours « comodaux », où des étudiants sont assis dans une classe, alors que d’autres suivent le même cours, mais à distance (en direct ou en visionnant les enregistrements) est appelée à croître. Toutefois, après plus d’une année où de nombreux enseignants et étudiants ont découvert par essais et erreurs comment enseigner et apprendre à distance, il semble utile de tirer quelques leçons et de considérer ce que dit la recherche sur ce type de cours afin d’en limiter les difficultés.
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En tant que spécialistes de la formation à distance, nous nous intéressons aux tendances en matière de télé-enseignement, au déploiement de ce mode de formation, aux défis qu’il représente et à l’accompagnement des parties impliquées.
Plusieurs questions à se poser
Bon nombre d’enseignants et d’étudiants seront heureux de retourner en classe à l’automne. Toutefois, cela ne sera peut-être pas le cas de tous. Certains étudiants apprécient l’enseignement à distance qui convient bien à leur situation, leur autonomie ou leur budget.
De leur côté, les enseignants ne sont probablement pas tous heureux de retourner faire face à une gestion de classe parfois compliquée et à devoir se déplacer alors que leurs horaires sont souvent chargés. Comme ils ont investi du temps pour créer des cours à distance et développer leurs compétences dans le domaine, certains pourraient préférer continuer la formation à distance, en totalité ou partiellement.
Dans ce sens, il est fort possible que plusieurs établissements envisagent ce mode de formation comme un moyen de rejoindre davantage d’étudiants, au Québec, au Canada, voire dans le monde entier. Après tout, les établissements d’enseignement supérieur québécois sont financés par leur fréquentation étudiante ! Or, si c’était si simple, il y a longtemps que les établissements offriraient de la formation à distance partout sur le globe.
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La réalité, c’est que l’accès à l’Internet à haut débit est loin d’être garanti dans toutes les régions, même au Québec. Suivre une formation en direct via des plates-formes de visioconférence comme Zoom ou Teams peut y être ardu.
C’est sans compter les enjeux liés aux fuseaux horaires. À quelle heure auront lieu les séances ? Est-ce que les étudiants visés seront disponibles ? Est-ce qu’il y aura des services de soutien 24h/24, 7j/7, pour les étudiants hors Québec ? Finalement, il faut aussi considérer que dans plusieurs endroits du monde, Internet passe par les connexions cellulaires. Les étudiants doivent donc suivre leur cours avec des connexions moins rapides, moins fiables en plus d’avoir à utiliser un très petit écran, ce qui n’est évidemment pas propice à l’apprentissage.
Il y a donc un ensemble de questions que doivent se poser les établissements qui veulent se lancer à la conquête planétaire des étudiants grâce à la formation à distance complète ou aux cours comodaux.
Le mirage de la comodalité
À première vue, une formule combinant enseignement en classe et à distance peut sembler intéressante, voire prometteuse. Les étudiants peuvent choisir le mode de formation qu’ils préfèrent, ce qui peut contribuer à une approche plus inclusive. Cependant, sur le terrain, plusieurs obstacles à ce mode de formation apparaissent.
Par exemple, sur le plan pédagogique, comment faire en sorte que les étudiants à distance ne se sentent pas marginalisés ou oubliés par l’enseignant en classe ? Comment peuvent-ils poser des questions à l’enseignant ou échanger avec les étudiants en classe ? Est-ce que l’enseignant aura-t-il besoin d’un assistant pour gérer à la fois les étudiants en classe et ceux à distance ? Comment faire pour que les étudiants suivant le cours à distance en écoutant les enregistrements ne soient pas pénalisés lors d’activités d’apprentissage nécessitant des interactions avec leurs pairs ?
Sur le plan technique, les micros utilisés sont aussi susceptibles de poser problème puisqu’ils vont capter l’enseignant et les sons de la classe. Est-ce que l’enseignant devra rester à un endroit précis pour ne pas sortir du cadre de la caméra ? Est-ce que les propos des autres étudiants seront bien entendus ? Cela tournera-t-il à la cacophonie si plusieurs propos se superposent ? Si l’enseignant utilise un tableau conventionnel ou un tableau numérique interactif, comment les étudiants à distance pourront voir ce qui est écrit ?
Bref, s’imaginer qu’enseigner dans un cours comodal ne consiste qu’à allumer une caméra dans une classe est pratiquement un désastre annoncé tant cela sous-estime les défis à relever. De plus, l’approche pédagogique inclusive à distance ne se résume pas à offrir différents modes de formation pour un même cours, même si cela peut y contribuer.
Il y a donc toute une démarche de conception pédagogique et technologique à réaliser pour arriver à offrir des cours comodaux qui intéresseront les étudiants.
Quatre conditions pour réussir
Dans les faits, envisager ce mode de formation peut être intéressant, mais pour atteindre les vertus visées précédemment, il faut penser à offrir des cours flexibles qui permettent aux étudiants de suivre leur cours en présence ou à distance et qui s’appuient sur quatre piliers fondamentaux :
1 – les étudiants peuvent choisir à tout moment le mode de formation (en présence, à distance en direct ou à grâce à des enregistrements) au moment qui leur convient ;
2 – la qualité de la démarche d’apprentissage proposée doit être équivalente, peu importe le mode de formation choisi par les étudiants ;
3 – les activités d’apprentissage mobilisent des ressources pouvant être utilisées, peu importe le mode de formation ; et
4 – les étudiants ont un accès équivalent aux mêmes ressources (matériel didactique inclusif) peu importe le mode de formation choisi.
Ainsi, pour développer ce type de cours, il ne faut pas seulement envisager offrir un cours en présence et à distance en même temps, mais bien concevoir des cours à la fois pour des étudiants en présence et à distance afin d’offrir une expérience d’apprentissage riche et équivalente pour tous. Bref, il y a toute une démarche de réflexion et de conception à respecter.
Si enseigner à distance ne s’improvise pas, enseigner en comodal non plus ! Cependant, avec des outils technopédagogiques performants, de la formation et de l’accompagnement par des spécialistes et du temps pour concevoir leurs cours, tous les enseignants peuvent arriver à développer des expériences d’apprentissage à distance de qualité pour leurs étudiants, peut importe le cadre.
De la même manière, pour internationaliser les cours et programmes des établissements en les rendant disponibles à distance, respecter ces conditions essentielles permettra d’éviter les écueils et surtout les mauvaises expériences des étudiants auxquels sont destinés ces cours.
Serge Gérin-Lajoie, Professeur, Université TÉLUQ et Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.