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Bâtir des ponts entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones

Photo: iStock

Il y a déjà plus de 20 ans, Carole Lévesque, professeure titulaire à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), a participé à la fondation du Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG). Son mandat: développer un dialogue éthique, constructif et durable entre le monde universitaire et le monde autochtone.


ANALYSE – En recevant cette année le Prix Connexion 2021, au nom de l’équipe de direction du Réseau, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) reconnaît ainsi l’importance de la mission de DIALOG et sa contribution majeure aux initiatives de réconciliation entre la société québécoise/canadienne et les sociétés autochtones.

Forum de partage, de rencontre et de savoir, DIALOG met en relation des chercheurs universitaires, autochtones et non autochtones, des gardiens et des gardiennes du savoir, des leaders, des intellectuels autochtones et des étudiants engagés dans une démarche d’actualisation et de renouvellement des pratiques de recherche et des connaissances scientifiques et autochtones.

Le secret de DIALOG, c’est que nous n’avons pas tenté d’amener les populations autochtones à l’université. Nous sommes allés les voir chez eux.

Renouveler la relation entre l’université et le monde autochtone

DIALOG se caractérise par sa compréhension élargie du rôle moteur de la coconstruction dans l’avancement et la mobilisation des connaissances. Son mode de fonctionnement est axé sur l’ouverture à des formes multiples de savoirs et son existence est ancrée dans la durée ainsi que son rayonnement international.

La mission de DIALOG a toujours été de renouveler la relation entre l’université et le monde autochtone, avec la justice au cœur de ses actions, la volonté de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations autochtones et la reconnaissance que ces peuples détiennent des droits, dont celui à l’autodétermination. La relation entre l’université et le monde autochtone a trop longtemps été caractérisée par un rapport unilatéral au savoir, engendrant peu de retombées pour les communautés autochtones elles-mêmes.

En construisant cet espace de rapprochement au sein duquel les voix, les langues et les savoirs autochtones peuvent s’exprimer à leur manière, DIALOG a reconnu l’existence et les fondements des systèmes de savoirs autochtones, et documenté l’apport des cultures autochtones au patrimoine de l’humanité.

Un travail de terrain

J’ai la chance de faire partie de la première génération d’anthropologues québécois qui ont souhaité, très tôt, non seulement s’instruire des réalités autochtones, mais aussi apprendre à connaître ces peuples de l’intérieur en travaillant en étroite collaboration avec eux.

Mon premier contact avec les communautés autochtones s’est fait il y a maintenant 50 ans et c’est en travaillant avec eux que j’ai grandi.

La présence au sein des communautés et des territoires autochtones était une composante incontournable de notre formation. Et on ne parle pas ici de visites d’une ou deux semaines, mais plutôt d’années à partager la vie communautaire, à loger dans des familles accueillantes et à s’intéresser à de multiples dimensions de la culture locale. J’aurai passé presque sept ans au sein des communautés autochtones.

Site culturel Kinawit, Val-d’Or. (DIALOG), Author provided

La différence principale entre mes débuts comme anthropologue et aujourd’hui se situe dans la prise de parole des Autochtones eux-mêmes. Bien sûr, il y a longtemps que les propos des politiciens autochtones sont relayés par les médias. Cependant, aujourd’hui, d’autres paroles se font entendre de la part des jeunes, des femmes, des personnes aînées, soit des paroles citoyennes, portées par des gens de tout âge et de tout genre, qui ont à cœur l’identité, l’éducation, la culture.

Aujourd’hui, on insiste avec raison sur l’importance pour les chercheuses et les chercheurs de privilégier la coproduction des connaissances. La recherche se fait avec les Autochtones, et non pas sur les Autochtones.

Respect, équité et partage

Des valeurs de respect, d’équité, de partage, de réciprocité et de confiance animent les membres du Réseau, quels qu’ils soient, selon leurs trajectoires respectives et leurs contributions spécifiques au savoir. Ils explorent ensemble divers chemins de connaissance et font appel aux épistémologies et aux ontologies autochtones afin d’apporter de nouvelles réponses aux défis communautaires auxquels font face les populations.

DIALOG mise également sur le potentiel d’innovation et de transformation sociale que recèlent les instances qui œuvrent à leur mieux-être, autant au sein des communautés autochtones territoriales (réserves) qu’en milieux urbains où la présence autochtone est de plus en plus nombreuse.

Une foule de manifestants portant un chandail orange
Marche pour la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, le 30 septembre 2021, à Montréal. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Ériger des passerelles entre savoirs scientifiques et autochtones

Dans cette optique, la démarche de coconstruction des connaissances, à la source des passerelles à ériger entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones, ne peut être qu’une œuvre collective ancrée dans le relationnel, contrairement à une orientation prédéterminée et déjà calibrée à l’image d’une science impersonnelle, distante et dominante.

La première caractéristique de la coconstruction en matière de recherche sociale est en effet de reconnaître le rôle incontournable du lien de proximité qui unit ses actrices, ses acteurs et les mènent par la suite à s’engager vers de nouvelles avenues de compréhension et de décolonisation.

Site culturel Kinawit, Val-d’Or. (DIALOG), Author provided

La seconde caractéristique est de favoriser la prise en compte des compétences et des expertises, souvent complémentaires.

Enfin, il ne saurait y avoir de coconstruction sans une participation de toutes et tous à la régénération des héritages culturels et pédagogiques, des modes de pensée, d’apprentissage et de transmission, des marqueurs sociaux qui sous-tendent la vie collective; autant de systèmes de valeurs et d’action autochtones ébranlés par l’entreprise coloniale, mais dont les principes directeurs et l’essence même ont transcendé les époques et les générations.

Je suis aujourd’hui une kokom (aînée) qui souhaite apprendre encore longtemps des humains en général et des cultures autochtones en particulier. Je me sens privilégiée de pouvoir poursuivre mes travaux de recherche, tous aussi intéressants les uns que les autres, de travailler tous les jours avec des gens qui m’inspirent et de séjourner encore très souvent en milieu autochtone, un ressourcement essentiel à mon existence de femme et d’anthropologue.


Note de la rédaction: ce reportage fait partie d’une série qui comprend également des entretiens en direct avec certains des meilleurs universitaires canadiens en sciences sociales et humaines. Cliquez ici pour vous inscrire à cet événement gratuit coparrainé par The Conversation/La Conversation et le Conseil de recherches en sciences humaines.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

La Conversation

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