Les femmes font-elles de mauvaises scientifiques?
Si je vous demande de me citer une femme scientifique, je suis prête à parier que vous allez me répondre Marie Curie. Très bien! Maintenant, citez-moi une deuxième femme scientifique. Alors? Pas facile, hein? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de penser à une autre chercheuse émérite? Je n’irais pas jusqu’à demander une double «nobélisée» car… il n’y en a pas! Marie Curie est la seule femme à obtenir deux fois le prix Nobel. En comparaison, trois hommes ont reçu cette double récompense: Linus Pauling, John Bardeen et Frederick Sanger.
Cette sous-représentation de femmes n’est pas une exception. C’est la norme.
De toute l’histoire des prix Nobel, 51 femmes ont été récompensées… pour 842 hommes.
Au Panthéon de Paris, bâtiment qui accueille les grandes personnalités qui ont marqué l’Histoire de la France, combien y a-t-il de femmes? Elles sont cinq – Simone Veil, Marie Curie (encore elle! Serait-elle la seule bonne scientifique femme à connaître?!), Sophie Berthelot, Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz – pour 81 personnes au total.
Pourquoi de telles différences entre les femmes et les hommes? Les femmes seraient-elles moins intelligentes? Feraient-elles de mauvaises scientifiques? Ou, peut-être, existe-t-il des barrières qui les empêchent de passer à la postérité comme leurs collègues masculins? Pour les besoins de la cause, on va s’imaginer que cette dernière possibilité soit vraie, et je vais de ce pas vous introduire au concept de l’effet Matilda!
L’effet Matilda est un terme inventé par la professeure Margaret W. Rossiter, du nom de l’auteure et militante, Matilda Joslyn Gage. À la fin du XIXe, elle avait remarqué que certains hommes avaient tendance à s’accaparer les découvertes de femmes. Ce concept explique comment les contributions des femmes scientifiques peuvent être négligées.
Des hommes qui s’accapareraient des découvertes de femmes! Difficile à croire? Et pourtant, en voici quelques exemples.
En 1958, Marthe Gautier met en évidence l’anomalie du chromosome responsable de la trisomie 21. En 1959 paraît un article dans la presse scientifique, mais le nom de la scientifique n’y est pas affiché en premier. À la place, apparaît celui de Jérôme Lejeune, un jeune stagiaire français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), puis celui de la scientifique, mal orthographié: «Marie Gauthier». Il remportera le prix Kennedy pour cette découverte.
En 1923, Lise Meitner découvre l’effet Auger, ou lorsqu’un atome libère un ou deux de ses électrons afin de se stabiliser. Le processus porte cependant le nom du physicien français Pierre Auger, qui a identifié la réaction seulement deux ans plus tard. Mais ce n’est pas la seule de ses découvertes qui furent négligées. En 1939, Lise Meitner et son neveu, Otto Frisch, découvrent la fission nucléaire, la pratique consistant à scinder des atomes avec des neutrons. Cette recherche a été déterminante dans le développement de la bombe atomique. Mais c’est Otto Hahn qui remporte le prix Nobel de chimie pour cette découverte en 1944. Lise Meitner n’a jamais remporté de prix Nobel pour son travail.
En 1905, Nettie Stevens découvre les chromosomes sexuels grâce à des vers de farine mâles qui produisent deux types de spermatozoïdes: l’un avec un grand chromosome et l’autre avec un petit chromosome. Son collègue et mentor, Edmund Beecher Wilson, est plus communément cité comme étant le découvreur des chromosomes sexuels bien que leurs découvertes ont eu lieu en même temps. C’était un scientifique qui avait déjà une grande réputation, mais c’était surtout un homme et à l’époque (aujourd’hui encore?), ceci avait plus de valeur que la vérité.
En 1967, Dame Jocelyn Bell Burnell découvre les pulsars, des objets astronomiques tourbillonnants qui envoient des faisceaux d’ondes radio à travers le cosmos. La scientifique et son conseiller, Antony Hewish, publient un article décrivant leur découverte en février 1968. En 1974, le comité du prix Nobel décerne à Antony Hewish et à son collaborateur, Sir Martin Ryle, un prix Nobel de physique pour leur découverte.
En collaboration avec George Whipple, Frieda Robscheit-Robbins découvre qu’un régime riche en foie guérit l’anémie chez le chien. Bien qu’elle eut coécrit de nombreux articles avec George Whipple, c’est lui qui a reçu le prix Nobel de médecine de 1934. Il a tout de même partagé l’argent avec elle.
L’effet Matilda est vraiment fâcheux et a de graves conséquences. D’une part, une chercheuse se fait voler sa découverte. Son nom ne passera jamais à la postérité et on ne la reconnaîtra jamais pour ce qu’elle est: une scientifique brillante. D’autre part, les conséquences se font ressentir jusqu’à notre époque: les jeunes filles n’ont pas de modèles auxquelles s’identifier. Si elles ne s’intéressent pas à la science, c’est parce qu’elles ne sont pas capables de savoir à quoi ressemble une femme scientifique!
Le manque de femmes «nobélisées» envoie un puissant message de dévaluation aux aspirantes professionnelles des STIM (science, technologie, informatique et mathématique). On leur dit qu’elles n’y ont pas leur place! Est-ce à ça qu’on veut que la science ressemble?!