Mesures sanitaires: le retrait «immédiat» des constats d’infraction réclamé
Des organismes pressent Québec de retirer les milliers de constats d’infraction que les policiers de la province ont émis dans les derniers mois à des citoyens qui ne respectaient pas les mesures sanitaires en vigueur.
Dans une lettre de cinq pages, acheminée récemment à plusieurs ministères du gouvernement Legault, plus de 70 organismes communautaires réclament une «amnistie complète» pour l’ensemble des Québécois qui ont reçu un constat d’infraction pour avoir contrevenu aux consignes de la Santé publique mises en place dans le contexte de la crise sanitaire, notamment concernant le respect de la distanciation physique.
Ils demandent aussi à Québec d’entamer une «réflexion collective» pour revoir la pertinence d’avoir recours à des «mesure répressives» pour faire face à la pandémie.
Profilage
Au début du mois d’avril, le premier ministre du Québec, François Legault, devant la forte hausse du nombre de cas de COVID-19, avait appelé les policiers de la province à être «moins tolérants» face aux personnes récalcitrantes à respecter les mesures sanitaires. La Ville de Montréal avait aussi augmenté sa présence policière dans plusieurs parcs achalandés.
Or, depuis, de nombreuses personnes en situation précaire – notamment des sans-abri – ont reçu ces amendes salées, qui tournent généralement autour de 1500$ pour les particuliers. C’est aussi le cas de plusieurs personnes noires ou autochtones et de nombreuses travailleuses du sexe, constatent les organismes signataires.
Ces derniers craignent ainsi que la pandémie ait eu pour effet d’exacerber les problèmes de profilage racial et social dans la police, en plus d’aggraver la situation financière déjà précaire de nombreuses personnes.
«Un cercle vicieux»
La lettre mentionne d’ailleurs à cet effet que le manque de clarté des décrets gouvernementaux favorise une application «arbitraire» de la Loi sur la santé publique. Une situation qui crée «une porte d’entrée vers de nombreux abus policiers», comme la «criminalisation» et les «fouilles abusives», peut-on lire.
«La première vague de COVID a vraiment aggravé les inégalités sociales, donc l’émission d’amendes avec des montants disproportionnés, ça va accroître les inégalités sociales et la stigmatisation de communautés déjà marginalisées», affirme à Métro la coordonnatrice de la Table des organismes communautaires montréalais de lutte contre le sida (TOMS), Marjolaine Pruvost.
C’est notamment le cas des personnes autochtones en situation d’itinérance, qui souffraient déjà de profilage racial de la part des forces de l’ordre avant le début de la pandémie.
«Quand on remet des amendes à ces personnes-là, on ne fait qu’augmenter leur marginalisation […] On tombe dans un cercle vicieux», souligne le travailleur de soutien aux organismes au RÉSEAU de la communauté autochtone à Montréal, Alexandre Huard. Ce dernier rappelle que de nombreux sans-abri ont reçu au printemps des amendes pour s’être rassemblés à l’extérieur.
«On marginalise la pauvreté, surtout quand on donne des constats pour le non-respect de la distanciation physique.» –Alexandre Huard
Selon une étude publiée par l’Association canadienne des libertés civiles à la fin juin, les policiers québécois auraient émis environ 66% des quelques 10 000 contraventions liées aux mesures sanitaires émises au pays entre le 1er avril et le 15 juin.
Deuxième vague
Cet été, le nombre d’amendes émises sur une base hebdomadaire pour non-respect des mesures sanitaires a considérablement baissé, notamment dans la métropole.
Contacté par Métro, le Service de police de la Ville de Montréal a indiqué avoir émis 3051 amendes pour faire respecter les mesures sanitaires dans la métropole. Or, en date du 7 juin, ce nombre s’élevait à 2909. Les policiers montréalais n’ont donc distribué que 142 amendes en plus de trois mois, soit moins que ce qu’ils distribuaient sur une base hebdomadaire en mai.
Néanmoins, alors que la province entame sa lutte contre la deuxième vague du coronavirus, les organismes signataires se disent inquiets pour la suite.
Le 10 septembre, François Legault a d’ailleurs de nouveau appelé les policiers à «sévir», notamment à l’égard de ceux qui ne respectent pas la règle du port du masque obligatoire dans les lieux publics fermés.
«Il y a une vive inquiétude auprès des organismes qui oeuvrent auprès des itinérants, des personnes autochtones […] C’est un peu un cri d’alarme qu’on lance», souligne l’organisatrice communautaire du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, Laury Bacro.
Contacté par Métro, le ministère de la Sécurité publique nous a référé au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Ce dernier n’a pas voulu commenter.