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Les récalcitrants au vaccin veulent du vécu pour être convaincus

Dr Horacio Arruda Photo: Josie Desmarais/Métro
Joelle Basque et Nicolas Bencherki, Université TÉLUQ - La Conversation

Pour faire un choix aussi personnel qu’une décision médicale, les êtres humains se fient notamment à leur propre expérience vécue et à celle de leur entourage immédiat. Pour convaincre les citoyens de se faire vacciner, les autorités, dont la Santé publique, doivent donc faire appel à des visages humains qui témoigneront de leur propre expérience, estiment des experts.

ANALYSE – Les récalcitrants à la vaccination ne se sentent pas interpellés par les chiffres et les statistiques. Les débats actuels sur la 1re, 2e et maintenant 3e dose s’apparentent à un dialogue de sourds pour une partie de la population, soit environ 15 %. De ce nombre de réfractaires à la piqûre, plusieurs s’opposent à tout discours scientifique.

Par Joelle Basque, Université TÉLUQ et Nicolas Bencherki, Université TÉLUQ

Alors que ceux que l’on a entendus le plus durant la crise sanitaire (médecins, journalistes, ministres, etc.) expliquent ne rapporter que des faits scientifiques qui parlent d’eux-mêmes, notamment quant à l’efficacité des vaccins à protéger des formes graves de la Covid-19, les anti-vaccins, eux, ont une lecture différente : la science est politique.

Ils considèrent donc ces porte-parole comme habités de motivations douteuses qui présentent et manipulent les faits de façon intéressée. Pour mieux les saisir, il faut comprendre comment les gens interprètent certains enjeux de nature scientifique tels que la vaccination.

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De récents articles mettent en évidence l’importance d’expliquer la démarche scientifique entourant la fabrication des vaccins : montrer comment ils sont produits, leurs taux d’efficacité, de même que leurs effets secondaires. À ces suggestions, nous ajoutons qu’il est primordial de rendre ces informations accessibles non seulement en termes de nouvelles connaissances, mais aussi en tant qu’« expérience partagée » avec le reste de la population.

Pour ce faire, en tant que professeurs et chercheurs en communication, nous nous basons sur notre connaissance de la dimension sociale et narrative des processus de construction du sens. En effet, la recherche bien établie en communication, par exemple sur la compréhension des traitements de cancer, montre que les dynamiques identitaires (soit l’identification à des personnages de récits) nourrissent le partage d’histoires par lequel se fait l’interprétation de la réalité. Les identités et les histoires qui les accompagnent étant nombreuses, l’interprétation des faits scientifiques peut aussi être diverse et, ainsi, prendre une dimension politique et conduire à des positionnements rigides.

C’est le vécu qui compte

Selon les théories de la construction du sens et de la narrativité, développées respectivement par les Américains Karl E. Weick et Walter R. Fisher, les gens évaluent premièrement les faits à la lumière de leurs expériences et de celles de leurs proches. Ces expériences sont relatées et échangées sous forme de récits narratifs, formant des histoires dans lesquelles les gens se reconnaissent et s’identifient.

Ces histoires sont d’autant plus efficaces lorsqu’elles présentent l’auditeur comme ayant une prise sur sa vie, lui accordant donc un rôle enviable et intéressant. Par exemple, pour plusieurs personnes, un récit dans lequel un membre de la famille a fait un choix judicieux par rapport à un traitement médical sera plus convaincant qu’un exposé scientifique.

Lorsque l’on observe les conversations sur les réseaux sociaux à propos des vaccins, on peut constater que le partage d’histoires personnelles demeure l’un des modes prédominants à travers lequel les gens forgent leur opinion quant à la fiabilité et l’innocuité des vaccins. C’est ainsi que les gens, en groupe, donnent un sens aux événements et s’interrogent sur les faits en les comparant à leur propre vécu et à celui de leurs proches.

Facebook.

Comme on peut le voir dans les exemples ci-contre, dans leurs échanges, les gens ne font pas que rapporter une série de faits vécus. Ils les mettent en récit pour partager et comparer leurs expériences, mais aussi pour se rassurer mutuellement qu’ils sont à même de prendre leurs propres décisions.

Source : Facebook.

Les faits scientifiques, loin des préoccupations

Alors que la plupart des personnes appréhendent la vaccination à travers leur expérience personnelle, les faits scientifiques sont souvent rapportés sous formes statistiques, sans les relier au vécu de leur auditoire (par exemple, les taux d’hospitalisation de patients de la Covid-19). Ces hospitalisations, expérimentées par d’autres, ne toucheront pas les récalcitrants.

De plus, les faits sont souvent présentés du point de vue des scientifiques qui les ont produits, ou alors émanant de représentants des médias ou du gouvernement, ce qui demande [une confiance dans ces institutions]. Une baisse de confiance déclenchera chez certaines personnes l’impression que l’on souhaite leur enlever le contrôle sur leur vie.

Cette crise de confiance tient en partie son origine du fait qu’une majorité de gens n’ont pas d’expérience directe de ces institutions et de leurs activités, comme la recherche médicale, l’enquête journalistique, ou la prise de décision politique. Dans ces récits qui leur sont présentés, on leur demande de se laisser guider par d’autres sans poser de questions… ou presque.

Facebook.

Imbriquer faits scientifiques et histoires personnelles

À partir de ces constats, deux recommandations peuvent être formulées. La première serait d’intégrer plus de personnes non scientifiques dans des reportages sur le domaine médical ou la recherche clinique, afin que le « vrai monde » puisse mieux comprendre les enjeux et se sentir partie prenante au débat. Par exemple, avec l’approbation imminente des vaccins contre la Covid-19 pour les 5 à 11 ans, on pourrait présenter des parents d’enfants qui ont participé à des essais cliniques sur ces vaccins pour démystifier le processus de recherche scientifique et fournir de cette façon des récits dans lesquels d’autres parents peuvent se reconnaître.

Ou alors, comme les médias le font en ce moment, partager les récits des proches de jeunes non vaccinés et décédés de la Covid-19 peut potentiellement avoir un impact sur les personnes récalcitrantes. Certaines d’entre elles peuvent se retrouver dans les hésitations que ces personnes avaient envers la vaccination : « Il était inquiet par rapport au vaccin, oui, mais tout ce qu’il voulait, c’était voir comment les gens allaient y réagir pour être sûr que c’était safe pour lui et ses proches avant de les encourager à se faire vacciner ».

Dans la même veine, il faudrait s’assurer que ceux qui décortiquent les données dans les médias aient de bonnes connaissances scientifiques et rendent accessibles les chiffres présentés. Ainsi, à partir des mathématiques vues à l’école secondaire, il est possible, par exemple, de mieux comparer le nombre d’hospitalisation de personnes vaccinées et celui de personnes non vaccinées.

La seconde recommandation serait de parler davantage dans les médias de situations vécues par des personnes inquiètes. Car aujourd’hui, ceux et celles qui osent émettre des doutes sont trop rapidement évacués du débat et reléguées au rang de paria. Alors que sans négliger la véracité des faits, on peut très bien présenter davantage d’exemples de personnes ayant surmonté leurs doutes et inquiétudes, ainsi que la démarche par laquelle ils y sont parvenus.

Par exemple, dans le documentaire « Aiguilles sous roche », l’humoriste Louis T donne la parole aux gens qui se méfient des vaccins, et expose ses propres doutes en tant que parent et en tant que citoyen, sous forme de quête. Présenter ainsi une démarche de recherche sous forme d’histoire dans laquelle le « héros » partage les préoccupations de l’auditoire correspond bien à la théorie narrative de Walter R. Fisher dont nous parlions plus haut. https://www.youtube.com/embed/5QZavEpLLkg?wmode=transparent&start=0

Dans le cas du refus du vaccin, certaines personnes récalcitrantes se perçoivent comme des citoyens informés ou des parents précautionneux. Pour elles, refuser le vaccin constitue un acte de résistance visant à garder le contrôle sur leur propre vie. S’il est primordial de s’assurer que les faits scientifiques soient rapportés, il ne faut pas pour autant réduire l’importance de ces préoccupations, qui sont légitimes, et du besoin de récits auxquels se rattacher. Il faut donc présenter les faits en tenant compte des expériences vécues par de nombreuses personnes anxieuses de perdre la mainmise sur leur vie.

Publier ces statistiques quotidiennes sur les infections, les hospitalisations et les décès est nécessaire, mais ne suffira probablement pas pour sensibiliser la frange dure des récalcitrants. Pour les convaincre, les faits scientifiques ne doivent pas être pensés et présentés comme des chiffres ou des résultats, mais comme des éléments d’une expérience humaine qui leur donne leur signification.


Vous avez une question sur les vaccins Covid-19 ? Envoyez-nous un courriel à l’adresse ca-vaccination@theconversation.com et des experts répondront à vos questions dans les prochains articles.

Joelle Basque, Assistant Professor, Université TÉLUQ et Nicolas Bencherki, Associate Professor, Université TÉLUQ

Cet article est republié de La Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

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