Soutenez

Blaney: l'holocauste comme argument pour C-51

Lina Dib et Mélanie Marquis - La Presse Canadienne

OTTAWA – Le ministre fédéral de la Sécurité publique a invoqué l’holocauste pour justifier certains articles du projet de loi antiterroriste du gouvernement conservateur et il exhorte l’opposition à l’adopter par devoir moral.

«L’holocauste n’a pas commencé dans les chambres à gaz; ça a commencé par des mots», a lancé le ministre Steven Blaney lors de son témoignage devant un comité parlementaire qui étudie C-51, mardi matin.

Il tentait alors de justifier un article du projet de loi qui modifie le Code criminel pour ériger en infraction «le fait de sciemment préconiser ou fomenter la perpétration d’infractions de terrorisme en général» — en d’autres mots, la promotion du terrorisme.

La référence à l’holocauste a fait bondir le porte-parole néo-démocrate en matière de sécurité publique, Randall Garrison, qui a invité le ministre à retirer ses paroles.

M. Blaney s’est au contraire enflammé et les a répétées avec encore plus de vigueur.

«La violence ça commence avec des mots; la haine ça commence avec des mots», a tonné le ministre, poursuivant sa lancée en établissant un parallèle avec un autre génocide, celui qui est survenu au Rwanda en 1994.

«Il est important qu’on se dise les vraies affaires. Si c’est un chat, c’est un chat. (…) Les discours extrémistes, les langages qui vont à l’encontre des valeurs canadiennes, le langage haineux n’ont pas leur place au Canada. (…) Alors je maintiens mes propos», a-t-il tranché.

Le ministre de la Justice, Peter MacKay, qui prenait place aux côtés de M. Blaney pour cette apparition devant le comité, a présenté ses arguments plus sobrement.

Il a notamment exposé que l’interdiction de faire la promotion du terrorisme était suffisamment circonscrite dans le texte du projet de loi.

«Le test appliqué ici est la promotion ou le plaidoyer en faveur, alors l’encouragement, les efforts faits pour attirer une personne vers l’exécution d’actes terroristes», a-t-il tenté de clarifier.

«Les termes ‘promotion’ ou ‘plaidoyer en faveur’, certains disent qu’ils sont trop vagues, en fait, il faut se fier à la jurisprudence», a ajouté le ministre MacKay.

Quelques heures plus tard, à l’issue de la période des questions en Chambre, il a expliqué la sortie controversée de son collègue en plaidant que celui-ci est «très passionné par le projet de loi». Il a rapidement tourné les talons lorsqu’on lui a demandé s’il établirait le même parallèle.

Le chef libéral Justin Trudeau, pour sa part, a déclaré en point de presse au foyer des Communes qu’il s’agissait là d’une nouvelle preuve que le gouvernement «n’hésite pas à souligner la peur et la division» en donnant des «exemples extrêmes».

Steven Blaney a suscité l’émoi chez les représentants du Nouveau Parti démocratique (NPD) avec ses propos sur l’holocauste, mais il n’a pas impressionné avec ses appels à la «responsabilité morale» de se rallier derrière le projet de loi.

Les députés qui siègent au comité ont notamment reproché à l’élu conservateur d’avoir voulu miner d’entrée de jeu la crédibilité des opposants au projet de loi en les qualifiant de «soi-disant experts» devant le comité.

Parmi les personnes ayant critiqué C-51 figurent notamment les ex-premiers ministres Jean Chrétien, Paul Martin, John Turner et Joe Clark, les anciens juges de la Cour suprême Louise Arbour et Claire L’Heureux-Dubé, et certains commissaires — anciens et présent — à la protection de la vie privée.

«J’ai été passablement déçu», a résumé Randall Garrison à sa sortie de la salle où se tenait la première des neuf journées d’audiences sur le projet de loi antiterroriste.

Le député néo-démocrate, selon qui le ministre Blaney n’a donné «aucune indication» qu’il serait ouvert à amender le projet de loi, dit espérer que les opposants continuent à faire entendre leur voix, que ce soit devant le comité ou dans le débat public.

«Je pense que l’inquiétude est grandissante chez les Canadiens de l’ensemble du pays. (…) J’espère que le gouvernement écoutera ces préoccupations», a-t-il déclaré en point de presse.

Le projet de loi C-51 augmenterait considérablement les pouvoirs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). En vertu du projet de loi, l’agence d’espionnage pourrait perturber des complots terroristes et criminaliser la promotion d’actes terroristes.

Il permettrait le partage d’informations entre les différents organismes du gouvernement fédéral, et après son adoption, il serait également plus facile de limiter les déplacements de personnes soupçonnées de terrorisme.

Le NPD estime que le projet de loi comporte plusieurs lacunes — notamment au chapitre de la prévention de la radicalisation — et qu’il contient des définitions trop vagues.

Les autorités sécuritaires pourraient s’en servir pour limiter la liberté d’expression ou appréhender des dissidents politiques légitimes, redoute la formation politique.

«Ces allégations sont complètement fausses et franchement ridicules», s’est défendu Steven Blaney.

Le NPD soutient également que les mécanismes de surveillance actuellement en place pour superviser les activités des services de renseignement sont inadéquats.

Les libéraux, qui ont déjà annoncé leur appui au projet de loi antiterroriste même s’ils aimeraient l’amender quelque peu, partagent la même inquiétude.

Là encore, les conservateurs s’inscrivent en faux.

Les ministres Blaney et MacKay ont clairement signalé mardi qu’ils n’avaient pas changé d’avis sur cette question: le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) assure un contrôle suffisamment robuste sur le SCRS.

Et la création d’un comité composé d’élus qui aurait ce mandat n’est pas souhaitable, a soutenu le ministre de la Justice, qui soutient avoir tiré des leçons de ce qu’il a constaté du côté de la Grande-Bretagne.

«Leur comité de surveillance parlementaire fait l’objet de critiques, car il est sujet à de l’ingérence politique, des scandales, qui minent son objectivité et sa capacité à remplir son mandat», a-t-il fait valoir.

Les ministres Blaney et MacKay ont occupé tout le plancher, mardi, mais ils n’étaient pas les seuls témoins de marque: le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Bob Paulson, et le directeur du SCRS, Michel Coulombe, étaient aussi présents à la rencontre.

Les deux hommes ont toutefois été très peu sollicités par les députés qui siègent au Comité permanent de la sécurité publique et nationale.

Le comité parlementaire doit entendre une cinquantaine de témoins au cours des prochaines semaines. Sa prochaine réunion est prévue ce jeudi.

Articles récents du même sujet

Mon
Métro

Découvrez nos infolettres !

Le meilleur moyen de rester brancher sur les nouvelles de Montréal et votre quartier.