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«Amiko» ou l’adolescence douce-amère

Photo: Collaboration spéciale / Fantasia

Par un beau soir d’hiver, Amiko fait une longue marche avec Aomi, son collègue de classe qui lui plaît drôlement. Vous savez, ce genre de promenade qui crée des liens significatifs, qui favorise les confidences, les réflexions existentielles, et qui facilite les rapprochements.

Or, depuis cette rencontre, Amiko et Aomi ne se sont plus parlé pendant des mois. Lorsque l’adolescente apprend que son kick s’est fait une petite amie, son univers s’écroule.

C’est par la pratique d’un métier qu’on l’apprend. À 19 ans, la jeune cinéaste japonaise Yoko Yamanaka, impatiente de réaliser ses projets, a déserté ses classes de cinéma pour tourner son premier long métrage de fiction avec les moyens du bord.

Amiko est le titre de ce film. C’est aussi le prénom de sa protagoniste, une adolescente de 16 ans, obsédée par ce jeune fan de Radiohead. «Je me demande si Thom Yorke se réveille, se regarde dans le miroir, et se dit: “Ah, je suis Thom Yorke encore aujourd’hui”», lui confie-t-il d’ailleurs durant leur fameuse promenade.

Amiko nous replonge dans l’adolescence, cette époque où chaque petite émotion se vit hyper intensément, où le moindre événement nous fait traverser une véritable crise et où on envisage avec inquiétude le reste de sa vie.

Réalisé avec un tout petit budget, le film s’est d’abord fait remarquer par un programmateur de la prestigieuse Berlinale, ce qui lui a par la suite ouvert les portes d’autres festivals internationaux.

Métro a rencontré Yoko Yamanaka à l’occasion de son passage à Montréal pour le festival Fantasia.

L’adolescence est montrée de façon très réaliste dans Amiko, tant dans les activités du quotidien (magasiner avec ses amis, parler dans le dos de ses camarades de classe ou simplement chiller) que dans les émotions vécues à fleur de peau. C’était important pour vous de dépeindre cette réalité sans artifice?
C’était très important. Quand j’étais adolescente, je regardais les films japonais qui mettent en scène des adolescents, mais je ne savais pas de qui ils parlaient; ça ne me semblait pas très proche de moi.

On ne voit aucun adulte dans votre film, pas de parents ni de profs, même qu’Amiko est souvent assise au bureau de l’enseignant dans une classe vide. C’était voulu?
Je n’ai pas souvenir que les paroles d’un adulte m’aient changée lorsque j’étais adolescente; je restais toujours dans ma bulle avec des amis de mon âge. Je trouvais que les adultes étaient de trop; c’est pour ça que je n’en ai pas mis dans mon film. Pour l’anecdote d’Amiko assise au bureau du prof, maintenant que vous me le dites, je pense que je faisais la même chose qu’elle après l’école, quand on devait rester travailler. J’avais toujours envie de m’asseoir à la place du prof quand il n’était pas là.

«J’éprouvais une sorte de frustration quand j’étais à l’école secondaire. Ce sentiment s’est transposé dans le scénario quand j’ai commencé à écrire le film.» – Yoko Yamanaka, au sujet de l’influence de sa propre adolescence sur son processus créatif

Sous le choc d’avoir appris que son kick a une blonde, Amiko s’installe dans le bain et mange un grand bol de quartiers de citron. Qu’est-ce que cet aliment évoque chez vous?
Une de mes bibles quand j’étais jeune, à l’école secondaire, est un livre qui s’appelle Lemon, de Motojirō Kajii. Je l’ai lu plusieurs fois. Dans ce roman, le personnage principal vit beaucoup de frustrations contre la société et il essaie d’apaiser ses sentiments en pensant qu’un citron est une bombe. Ainsi, il transporte toujours un citron sur lui. Par ailleurs, le citron est très acide quand on le mange, mais les sentiments d’Amiko envers ce garçon étant plus forts que le citron, elle en vient à ne plus goûter son acidité.

Aomi est un grand fan de Radiohead. L’êtes-vous aussi? Pourquoi avoir choisi ce groupe?
Moi-même, j’aime Radiohead, mais c’est surtout un groupe très pratique. Quand on vit à la campagne, au Japon, les jeunes écoutent à peu près tous la même musique, les mêmes idoles, et les personnes qui veulent être un peu différentes vont écouter une autre sorte de musique. Radiohead, c’est un peu différent de ce que les jeunes écoutent, sans être un groupe trop underground. Il se trouve au milieu. Si, par exemple, j’avais pris Serge Gainsbourg, ce n’est pas tout le monde qui aurait compris la référence. Alors que c’est le cas pour Radiohead, et c’est un groupe très écouté des adolescents.

Amiko apprend le français. On la voit dans une scène tenant un livre et répétant la phrase: «Moi, je t’aime.» Qu’est-ce qui vous a attiré vers cette langue?
Quand j’étais au secondaire, je voulais étudier le français à l’université parce que j’aimais beaucoup les films français, mais une fois à l’université, je me suis rendu compte qu’on n’avait pas de choix de langue seconde. Comme j’avais déjà acheté ce livre, je l’ai utilisé dans le film.

Selon un de vos personnages, il est impossible pour les Japonais de se mettre à danser spontanément. Est-ce vraiment le cas?
Oui. S’il n’y a pas quelqu’un qui commence à danser, personne ne va suivre. Le fait de danser ne fait pas partie de la culture japonaise; les gens ne vont pas danser par eux-mêmes. La scène où Amiko danse spontanément avec deux inconnus est un clin d’œil à ce trait de caractère.

Les personnages du film réfléchissent à leur avenir: à l’université où ils étudieront, où fonder une famille, etc. Maintenant que vous êtes propulsée dans les cercles internationaux du cinéma, est-ce que ça affecte la façon dont vous percevez votre propre avenir?
Je ne pense pas vraiment à mon avenir. Je pense que ce sont les rencontres qu’on fait par hasard dans la vie qui sont déterminantes. Après ça, je veux toujours faire des films, mais peut-être qu’un jour j’irai dans une autre direction, je ne sais pas encore. Je fais des films pour moi-même. Je n’ai pas vraiment la mission pour l’instant de sauver quelqu’un; il faut d’abord que je me sauve moi-même. C’est ce que j’ai voulu faire en tournant ce film.

Vous avez réalisé Amiko à l’âge de 19 ans, pendant vos études en cinéma. Ressentiez-vous l’urgence de créer?
Je ne voulais pas être dépendante de l’université. J’étais encore étudiante, mais je n’allais plus à l’école depuis un an. Depuis longtemps, je voulais faire quelque chose par moi-même.

Quels étaient les principaux défis de tourner un premier film avec un si petit budget?
Les autres membres de l’équipe du film étaient tous encore aux études. Et comme je n’allais plus à l’école, j’étais sûrement la personne qui savait le moins faire du cinéma. Les gens trouvaient que je tournais de façon très bizarre, que je faisais beaucoup de choses qui ne sont pas dans les règles de l’art. Je faisais tout ça intuitivement. J’avais comme seule référence les films que j’avais vus. Le plus difficile a été de croire au projet jusqu’à la fin. C’est un peu un miracle si le film a abouti.

Amiko sera présenté mardi prochain à 15h10, à la salle J.A. de Sève de l’Université Concordia

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