«Je t’écris au milieu d’un bel orage»: Camus et Casarès, ou le génie de vivre
L’histoire d’amour transcendante de deux personnages mythiques du 20e siècle, Maria Casarès et Albert Camus, embrase les planches du Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 19 février dans Je t’écris au milieu d’un bel orage. L’illustre auteur et la célèbre tragédienne s’animent sous les traits d’Anne Dorval et Steve Gagnon dans une mise en scène de Maxime Carbonneau.
La magnifique phrase coiffant la pièce est tirée de Correspondance (1944-1959), un recueil réunissant les 865 lettres enflammées que se sont échangé les amants, relation épistolaire qui a pris fin avec la mort tragique de Camus, le 4 janvier 1960.
Ayant trouvé refuge dans ces pages lorsque la pandémie a explosé, l’auteur et comédien Dany Boudreault a été happé par la fulgurance de leur amour et de leur foi en leur art, raconte-t-il en entrevue avec Métro.
Celui qui voyait ses « deux passions danser dans le même livre » s’est attelé au travail fastidieux de théâtraliser ces 1400 pages d’amour, rafistolant des phrases afin de faire converser au présent les tourtereaux. Outre leurs missives, il s’est inspiré d’archives, d’extraits d’émissions de radio, du discours du prix Nobel de littérature de Camus ainsi que de ses Carnets.
Amour quasi mystique
Le rideau s’ouvre sur Maria Casarès, alors âgée d’environ 60 ans, qui raconte en entrevue, 20 ans après que Camus ait péri dans un accident de voiture, leur histoire. La scène, filmée, est projetée en noir et blanc sur de très hauts rideaux habillant la scène.
De là, l’on voyage avec fluidité dans le temps, de leur coup de foudre jusqu’au trépas de l’auteur.
Au centre de la scène, transformée en élégante chambre décorée de meubles mid-century en bois foncé et d’accessoires dorés, repose un lit soyeux autour duquel flottent les rideaux. Le décor feutré, dont l’éclairage se fait tour à tour enveloppant ou orageux au gré des échanges entre Camus et Casarès, représente toutes ces chambres où s’est consumé leur amour au fil des années.
Le jour du débarquement de Normandie, lorsque la jeune Maria, comédienne d’origine espagnole ayant fui la guerre, rencontre Camus pour jouer dans sa pièce Le malentendu, elle est entrée dans son destin, se remémore Casarès sur scène.
Les artistes engagé.e.s dans la Résistance « se sont rencontré.e.s dans une situation d’urgence, qui a participé à leur histoire romantique », fait remarquer Dany Boudreault à Métro.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’épouse de Camus, réfugiée en Algérie, revient en France; Casarès rompt alors avec l’auteur, que la séparation ravage.
Or, le destin frappe de nouveau quatre ans plus tard, en 1948, alors que les deux se retrouvent par hasard à Saint-Germain-des-Prés le 6 juin… soit la date exacte de leur coup de foudre. Ils ne cesseront alors de s’aimer.
Leur relation quasi mystique sera vécue en grande partie de façon épistolaire, à mille lieues du quotidien, durant les 12 années qui les séparent du funeste dénouement.
Interprètes en symbiose
Camus et Casarès représentent la symbiose des corps et des mots de deux êtres dotés d’une soif d’absolu. D’ailleurs, Camus dit de son « Unique », de sa « Superbe », comme il la surnomme dans ses missives, qu’elle a le génie de vivre. Peut-on imaginer plus beau compliment?
Anne Dorval et Steve Gagnon transmettent la souffrance qu’infligent les sempiternelles séparations de leurs personnages, mais aussi leur fureur de vivre, leurs corps magnétiques se mouvant en d’ardentes chorégraphies sur le lit.
Malgré l’affliction de la distance, jamais Camus et Casarès n’ont renoncé à leur amour. « Comment fais-tu pour me bouleverser sans cesse? », lui demande-t-elle.
Les interprètes véhiculent de manière palpable la complicité soudant les amants, ainsi que le respect et l’admiration indéfectible que tous deux se vouaient comme artistes. « Leur admiration mutuelle les élevait, les nourrissait. Ils se rassuraient, ils se faisaient confiance », souligne Dany Boudreault.
Leur relation épistolaire n’est toutefois pas exempte d’élans d’orgueil et de jalousie, voire de cruauté lorsque la souffrance était trop aigue. Leurs heurts donnent d’ailleurs lieu à des moments cocasses sur scène, Dorval et Gagnon pouvant faire rigoler en une simple intonation ou phrase traduisant l’agacement de leurs personnages.
« On passe à travers toutes les températures, tous les beaux orages d’une histoire d’amour », illustre joliment Dany.
Être plus que soi
Albert Camus et Maria Casarès réfutent l’adage voulant que l’amour rend aveugle : au contraire, le leur « rend tout plus perceptible », affirment-ils. L’aimer lui permet d’être plus que lui-même, dit l’auteur de L’étranger à Casarès.
« Malgré le doute et l’inconfort dans lequel ils pouvaient être jetés à cause des circonstances et du mariage de Camus, ce sont deux personnes qui cherchent une nouvelle manière de s’aimer, observe Dany Boudreault. Je suis un peu moi aussi en quête d’un modèle amoureux à la hauteur de mes idéaux. Avant d’être un auteur ou un acteur, je suis un amoureux. »
« Aimer et être aimer de quelqu’un, ça peut nous rendre meilleur et encore plus nous-même », affirme l’enseignant à l’École nationale de théâtre du Canada. Maria Casarès et Albert Camus abonderaient certainement dans son sens.
Je t’écris au milieu d’un bel orage
Théâtre du Nouveau Monde
Jusqu’au 19 février
Production Théâtre du Nouveau Monde
en collaboration avec La Messe Basse