En Uruguay, pour fumer du pot, il faut passer à la pharmacie
Pour fumer un joint en Uruguay, plus besoin d’appeler un dealer, il suffit de passer à la pharmacie: depuis mercredi, ce pays d’Amérique du Sud est le premier au monde à commercialiser en toute légalité du cannabis à usage récréatif.
Dès 8h, les premiers clients, préalablement inscrits sur un registre de consommateurs, patientaient devant les rares officines ayant accepté d’écouler la drogue douce, dont quatre dans la capitale.
«Je fume depuis mes 14 ans. On va goûter», a déclaré un homme de 37 ans souhaitant rester anonyme, devant un local de la veille ville.
Pour la responsable, qui a également refusé de dévoiler son identité, la vente de marijuana «n’est qu’un service». Elle espère que cela «n’affectera pas» ses affaires.
«Nous ne vendons pas de marijuana», pouvait-on lire un peu plus loin sur un panneau dans une autre pharmacie.
Le mode de distribution choisi par l’État a suscité de nombreuses réticences chez les pharmaciens. D’abord intéressés par la manne financière potentielle, les représentants du secteurs ont ensuite fait état de leurs réticences: peur d’être victimes de vols, interrogations sur la rentabilité – le nombre d’acheteurs inscrits étant trop limités à leur goût – et craintes pour leur image auprès de leur clientèle habituelle.
Résultat: dans ce territoire de 3,4 millions d’habitants, grand comme la moitié de l’Allemagne, seuls 16 établissements participaient pour l’heure au programme. Le gouvernement n’est pas parvenu à trouver un accord avec les grandes chaînes de pharmacies.
Selon les dernières données officielles, près de 5 000 personnes sont inscrites depuis le 2 mai sur les registres de consommateurs.
Montevideo, un nouveau Amsterdam?
C’est une loi votée en 2013, sous la présidence de José Mujica (2010-2015), qui a légalisé trois façons de se procurer du cannabis: culture à domicile pour la consommation personnelle, appartenance à un club cannabique pour planter de manière coopérative, et achat de marijuana en pharmacie sous le contrôle de l’État.
Les deux premiers volets ont déjà été mis en pratique, mais celui de la vente en pharmacie a été plusieurs fois repoussé.
Une majorité d’Uruguayens (64%) s’étaient dit opposés à la loi au moment de son adoption et l’actuel président, Tabaré Vazquez, bien que membre du même parti que José Mujica, le Frente Amplio, était contre la légalisation. Il s’était néanmoins engagé à mettre en œuvre la loi.
Le cannabis est vendu au prix de 1,30 $ le gramme, chaque personne pouvant en acheter au maximum 10 grammes par semaine.
Le mode de conditionnement de l’herbe est semblable aux pochettes renfermant les sachets de thé individuels.
Deux types de cannabis seront commercialisés, l’«Alfa I», avec une prédominance de variété Indica, et le «Beta I», avec une prédominance de Sativa.
Sur l’emballage blanc et bleu est également inscrit le pourcentage de THC (tétrahydrocannabinol), la principale substance à effets psychotropes de la marijuana, ainsi qu’un «avertissement» et des «recommandations» pour son usage.
L’affluence de ce premier jour «montre qu’un nombre important de consommateurs attendaient impatiemment ce moment pour tourner le dos au marché noir», selon le sociologue Martin Collazo, qui intègre le Monitor Cannabis, une équipe universitaire interdisciplinaire qui étudie le secteur en Uruguay.
D’après cette équipe de chercheurs, quelque 160 000 personnes y consomment de la marijuana, dont 60 000 de façon régulière.
Mais peu de chance de voir Montevideo devenir un nouveau Amsterdam, célèbre pour ses «coffee shops» qui vendent du cannabis: la vente, limitée aux Uruguayens et aux résidents permanents, exclut de fait les touristes.