Pourquoi les idées populistes sont-elles si populaires?
CHRONIQUE – Ce qui nous apparaît le plus sensé ne l’est pas toujours. On n’a qu’à penser à cette idée selon laquelle les garçons réussiraient mieux à l’école si les classes étaient non mixtes. Ça semble logique, a priori: les garçons affichent un taux de décrochage supérieur à celui des filles, donc forcément, on a tendance à croire que l’école n’est pas faite pour eux, et qu’en les séparant des filles, on pourrait leur offrir une scolarité mieux adaptée, en plus de les mettre à l’abri des vilaines distractions que constitueraient… les filles.
Cette conviction passe difficilement l’épreuve des faits. Les données démontrent que le facteur de décrochage le plus déterminant n’est pas tant le sexe que les conditions socio-économiques, et que si les garçons de milieux défavorisés décrochent plus que les filles, c’est pour une panoplie de facteurs, dont le fait que le marché de l’emploi leur offre de meilleures conditions à eux, même sans diplôme. Quant aux filles qui décrochent, elles ont plus de difficulté à raccrocher que les garçons, leurs parcours à elles étant plus souvent compliqués par des grossesses et obligations parentales.
De nombreuses études ont démontré que la non-mixité scolaire n’apportait aucun bénéfice sur le plan de la réussite des garçons et que cela avait plutôt pour effet d’accroître les stéréotypes de genre, avec les conséquences que l’on connaît sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais on associe ces données scientifiques aux fantasmes d’une certaine intelligentsia prise dans sa tour d’ivoire, loin du terrain. On nous dit: parlez à n’importe quelle personne qui enseigne et elle vous dira que l’école est mal adaptée aux garçons. C’est l’opposition entre les élites déconnectées et le peuple qui sait parce qu’il ressent. Le populisme dans sa plus simple expression.
Les idées populistes sont populaires parce qu’elles offrent souvent une solution simple – voire simpliste – à un problème complexe. Une solution qui, mieux que de s’appuyer sur des données compliquées et indigestes, correspond à ce qu’une majorité de gens ressent. Et quoi qu’on en pense, les émotions ont souvent plus de poids que les informations.
À l’inverse, certaines idées qui nous paraissent a priori loufoques s’avèrent souvent très productives. Dans les années 2000, légaliser une drogue comme le cannabis semblait complètement farfelu. Ce projet était porté par les hurluberlus du Bloc Pot et autres militants un peu punks. Les premières données venues d’expériences faites ailleurs tendaient pourtant à démontrer que la légalisation de drogues jugées nocives permettait de réduire nombre de méfaits associés à la consommation, notamment les taux de mortalité et de criminalité. Aujourd’hui, la décriminalisation du cannabis va tellement de soi qu’on envisage de décriminaliser d’autres drogues. Il en va de même d’une idée comme celle de définancer la police, qui nous semble plutôt extrême aujourd’hui, mais qui pourrait s’avérer la norme lorsqu’on aura osé détourner les fonds consacrés à la répression vers la prévention.
Il est beaucoup plus simple de vendre des pseudo-théories simplistes qui confirment les idées préconçues d’une majorité de gens que de susciter l’adhésion à des solutions contre-intuitives néanmoins plus rationnelles. Les démagogues l’ont bien compris: ils réconfortent les masses dans leur ressenti. Qu’importent les statistiques démontrant par exemple que les personnes racisées demeurent discriminées dans les domaines de l’emploi, du logement ou de la répression policière, si des personnes en situation de privilège ont le sentiment qu’elles perdent du terrain, qu’elles sont «remplacées»? Aucune donnée ne les fera changer d’avis. Leur ressenti triomphera toujours sur les faits.
Cette tentation d’adhérer à l’idée la plus simple, la plus réconfortante et la plus erronée nous guette tous. Suffit de méconnaître un sujet pour se laisser séduire par ce qu’on nommera généralement le «gros bon sens». Parfois, vaut mieux s’en remettre aux plates élites dans leurs tours d’ivoire, même s’il est plus tentant de croire qu’on sait instinctivement mieux qu’elles.