Coronavirus: le rétrécissement de l’univers de la recherche après la pandémie
Le monde de la recherche ne sera pas le même à la suite de cette pandémie de coronavirus. Même après le retour à la normale.
Le monde de la recherche risque en effet de rétrécir, avance la revue Nature dans un reportage récent, sixième d’une série sur «la science après la pandémie».
Par exemple, sur les 50 visites de chercheurs prévues au Sydney Mathematical Research Institute de l’Université de Sydney, 30 ont été reportées ou annulées en raison de la COVID-19.
À travers le monde, certains chercheurs craignent que ces limitations ne conduisent à favoriser les scientifiques d’élite et les équipes établies, celles qui ont moins besoin de ce type de réseautage. D’autres ont peur de perdre des collaborateurs et de se retrouver marginalisés. En plus de la possibilité que le travail de terrain ne devienne un luxe.
À l’inverse, les restrictions de voyages pourraient aider à démocratiser certains secteurs, si le travail virtuel permet de multiplier les connexions pour les personnes qui ne pouvaient pas facilement voyager.
Interconnexion
La chercheuse en sciences et en politiques à l’Université d’État de l’Ohio, Caroline Wagner, a comparé la recherche sur le coronavirus en 2018 et 2019 avec des articles évalués par des pairs et des prépublications entre janvier et avril 2020. Elle conclut que, depuis l’éclosion, les équipes de recherche sont devenues un peu plus petites et concernent moins de pays. Les liens de coauteurs entre la Chine et les États-Unis ou d’autres pays riches se sont renforcés, tandis que la participation des pays en développement a diminué. Ce qui suggère que les chercheurs travaillent avec ceux avec qui ils ont déjà des connexions.
La mobilité internationale
La collaboration internationale risque donc de ralentir, particulièrement chez les chercheurs en début de carrière qui n’ont pas eu l’occasion d’établir ces liens, avance le sociologue Richard Woolley, de l’Université polytechnique de Valence, en Espagne.
Les pays excentrés comme l’Australie sont également plus à risque, en raison de leur main-d’œuvre scientifique très internationale : 35 % des 65 000 étudiants australiens à la maîtrise et au doctorat. Un rapport de l’Académie australienne des sciences, publié en mai, évalue que 9 000 étudiants étrangers manqueront à l’appel cette année.
L’article de Nature donne l’exemple du virologue au Centre Pasteur du Cameroun, Sébastien Kenmoe, qui dirige une étude sur les maladies fébriles en Afrique subsaharienne. Il a dû annuler un voyage et développe plutôt des moyens de surveiller les épidémies à
distance.
Mais pour certaines disciplines, il n’y a pas de substituts à la mobilité internationale. Depuis la pandémie, Jonah Choiniere, un paléontologue sud-africain, a dû annuler plusieurs voyages. Sans accès aux fossiles, il compte redoubler d’efforts pour recueillir des données auprès des universités et des musées d’ailleurs, mais les voyages internationaux sont l’épine dorsale de sa recherche.
Bien que la plupart des chercheurs s’attendent à ce que les déplacements sur le terrain finissent tôt ou tard par reprendre, l’impact de la pandémie pourrait affecter leur productivité pour quelques années.
Une recherche plus verte
Reste qu’il peut y avoir des avantages, pour les personnes moins mobiles ou qui n’ont pas les moyens de se déplacer.
Un nombre moins grand de voyages en avion pourrait aussi rendre la recherche plus «verte», répondant ainsi à une critique de longue date, sur l’impact climatique des congrès scientifiques internationaux.
Tous les déplacements n’ont pas une valeur égale pour la production de connaissances et le coronavirus pourrait pousser les chercheurs à réfléchir sur la manière de mener leur recherche différemment.