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Faire diminuer la violence par armes à feu grâce à la stratégie de dissuasion ciblée

Photo: iStock

Alors qu’une hausse des violences armées a été observée au cours des dernières années au Canada, les forces de l’ordre se contentent principalement d’augmenter leurs effectifs. Or s’agit-il de la réponse adéquate? Yanick Charette, le professeur agrégé, criminologie de l’Université Laval, Yanick Charette, répond à la question.


ANALYSE – Une hausse de la violence par arme à feu a été observée au cours des dernières années au Canada. Depuis les derniers mois, à Montréal et dans sa banlieue, les nuits se suivent et se ressemblent avec son lot de fusillades, parfois mortelles, et ses victimes collatérales.

Par exemple, pour l’année 2020, on a compté 277 homicides par arme à feu au pays. Un seuil similaire n’avait pas été observé depuis 1991. Il va sans dire qu’une intervention doit être réfléchie pour contrer ce problème coûteux et dommageable pour la société et, bien évidemment, pour ses victimes et leurs proches.

Toutefois, pour l’instant, les stratégies suggérées par la classe politique ou par les forces de l’ordre sont principalement d’augmenter le nombre de policiers ou d’augmenter la répression. Cela nous laisse perplexes. Mes travaux en tant que professeur-chercheur à l’Université Laval sur la question des réseaux criminels et la littérature scientifique sur le sujet suggèrent plutôt d’autres avenues plus efficaces pour contrer ce problème.

Une police axée sur la résolution de problème

Plus de policiers, moins de violence? Rien n’est moins sûr selon l’analyse systématique des études s’étant penchées sur la question. Si une augmentation des ressources policières montre un effet au mieux ténu sur la criminalité de manière générale, aucun effet spécifique n’a pu être observé sur la criminalité violente. De plus, ces stratégies policières amènent des tensions sociales, des processus discriminatoires, et des risques élevés de victimisation qui sont contre-productifs dans la définition d’une solution globale.

En plus d’être assez peu efficaces, ces stratégies sont peu efficientes, représentant des coûts considérables pour les contribuables.

Mais d’autres stratégies novatrices ont été implantées ailleurs dans le monde desquelles nous pourrions nous inspirer. Bien que peu implantées au Canada jusqu’à maintenant, ces solutions, basées sur une police axée sur la résolution de problème, suggèrent des résultats beaucoup plus prometteurs pour combattre la violence par arme à feu.

Cibler le problème à la source

Plutôt que de simplement réagir à chaque événement, comme c’est présentement le cas avec le problème de violence par arme à feu, la police de résolution de problème, comme son nom l’indique, favorise une approche proactive face à la criminalité, visant à cibler le problème à la source.

Plus précisément, la stratégie en question est celle de la dissuasion ciblée (Focused Deterrence). Cette stratégie, ciblant spécifiquement des individus ou des groupes à risque de commettre des actes violents, vise à dissuader ces comportements en utilisant comme leviers l’appréhension de certaines sanctions potentielles, ainsi que l’anticipation des bénéfices de ne pas commettre de gestes violents.

Concrètement, les interventions basées sur la dissuasion ciblée impliquent à la fois les services de police, mais aussi des représentants de la communauté, dans le but d’entreprendre une discussion avec des individus à haut risque de s’impliquer dans la délinquance violente. Cette discussion vise à leur communiquer des incitatifs clairs à éviter la violence, et les éléments dissuasifs de s’y engager.

Inciter et dissuader

Une fois ciblés, les délinquants reçoivent des informations sur l’accessibilité de différents services offerts dans leur communauté. Parmi les incitatifs, on retrouve des programmes d’aide à l’emploi, d’intervention psychosociale, de formation ou du soutien communautaire.

Des éléments dissuasifs sont aussi invoqués : les individus rencontrés sont informés des sanctions légales accrues auxquelles eux-mêmes, mais aussi leurs associés, feront face s’ils poursuivent la perpétration d’actes violents. Ce renforcement des sanctions peut être spécifique aux actes violents, mais peut aussi s’élargir à d’autres délits moins graves. Ainsi, si un gang augmente son niveau de violence, plus de répression sera envisagée globalement sur ce groupe, par exemple sur ses activités de trafic de stupéfiants.

Au-delà d’une simple stratégie de la carotte et du bâton, les initiatives de dissuasion ciblée tentent de réduire les opportunités qu’ont les individus de commettre des actes violents, de faire de la communauté locale un partenaire dans le processus, et d’améliorer les relations entre les services de police et la communauté.

Le groupe plutôt que l’individu

Les programmes recensés peuvent prendre différentes formes, mais la plus efficace est basée sur le modèle de l’Operation Ceasefire, introduite à Boston dans les années 90.

Cette stratégie de réduction de la violence cible les gangs en tant que groupes plutôt qu’en tant qu’individus. Dans le cadre de ces programmes, les acteurs du système de justice, des services sociaux et les membres de la communauté sont invités à s’engager directement dans un dialogue avec les groupes violents, de leur faire part de leurs préoccupations morales et légales concernant la violence subie, d’offrir une aide sincère à ceux qui le désirent, et de mettre en place des campagnes répressives stratégiques contre ceux qui continueraient leurs comportements violents.

Ces stratégies ont montré des résultats très encourageants. Une recension systématique de 24 études évaluant des programmes de cette nature arrive à la conclusion que ceux-ci avaient des effets non négligeables sur la violence par arme à feu.

Par exemple, dans une de nos études, nous avons pu constater que l’implantation d’un tel programme à New Haven (CT) aux États-Unis avait pu réduire de 73 % la violence par arme à feu commise par les gangs. De plus, par processus de diffusion de l’information entre les membres de groupes criminels, les associés des individus rencontrés dans le cadre de ces programmes obtiennent eux aussi des bénéfices en lien avec ces interventions.

Cette diminution observée est nettement plus efficace et efficiente qu’une simple augmentation du nombre de policiers, sans stratégie d’ensemble visant la cause du problème ou qui n’implique pas les membres de la communauté.

À notre connaissance, au Québec, on ne retrouve pas de stratégie d’intervention de ce type. Certes, le gouvernement québécois a annoncé l’investissement de deux millions de dollars dans des projets de prévention dans sept arrondissements à Montréal, comme la modernisation d’installations sportives ou culturelles. Mais les stratégies répressives reçoivent plus du double d’investissement que celles axées sur la prévention.

Il n’y a aucune raison valable de ne pas mettre en place ce genre de programme qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde. Il est temps de penser à la problématique de la violence par arme à feu de manière globale en termes de prévention plutôt qu’en de simples actions réactives et strictement répressives.

Yanick Charette, Professeur agrégé, criminologie, Université Laval

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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La Conversation

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