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Le temps de fermer les réseaux sociaux

CHRONIQUE – Pessimiste, nostalgique et antimoderniste, Gaspard Proust nous avait avertis: nos sociétés, malades du numérique, courent à leur perte. S’insurgeant contre notre addiction aux médias sociaux, le comédien slovéno-suisse se désole que ceux-ci donnent l’impression d’être libres tout en nous confinant au rang de… larves.

D’aucuns ricanaient, l’an dernier, lorsque le Parti québécois suggérait une semaine nationale de désintoxication collective.

Pourtant.

Parce que les réseaux sociaux, soyons candides, constituent d’impitoyables destructeurs du genre humain.

Aveu poche: j’en suis un consommateur compulsif, hypnotisé de la dernière photo de sushi d’un dude que je ne connais ni d’Ève, ni d’Adam. D’une publication sans intérêt de pseudo-influenceur-carencé-socio-affectif. De la blague de mononc qu’on ne voit qu’une fois par année, avec raison d’ailleurs. D’une récente recension par François Legault d’un livre qu’il n’a jamais lu, merci au staffer désigné.

Au resto, plage ou bibliothèque, tous y jettent un œil, intermittent ou quasi-temps plein. Famille, couple, amis.

Suffit d’une brève promenade dans un corridor universitaire, à la pause, pour y contempler des dizaines de têtes baissées en quête d’allez savoir.

On parle davantage, mais s’écoute moins.

On s’obsède d’instantanéité, rarement de pérennité.

On s’enflamme de superficialité, difficilement de fond.

Combien d’heures de lecture, aujourd’hui, versus Facebook, Twitter ou Tok Tok?

Les trolls et insultes, aussi, particulièrement après une apparition TV ou radio. Chaque fois où je reçois une alerte de «invitation par message», mon rythme cardiaque augmente. Un véritable coffre aux trésors: vidéo (non sollicitée) d’un bougre qui s’astique le zouinzouin, menaces, injures sur ton physique. La meilleure, depuis le temps? La compétition est féroce, mais je conserve un faible pour celle-ci: «Toué mon gros tabarnak on va t’envoyer dans l’État islamique pour qu’ils te coupent la tête pour que t’apprennes à réfléchir.» (NDLR: j’ai corrigé les fautes.)

L’intimidation et harcèlement de toute nature, donc. Pour une femme partie prenante au débat public? Faites fois mille. De quoi virer fou. Autre affaire: quel est l’impact, selon vous, des réseaux sociaux sur le tissu social, nos démocraties et États de droit?

Si je me réjouissais du fait que Facebook ait pu favoriser les révolutions du Printemps arabe, disons que j’avais parfaitement raté son corollaire: l’éclosion d’organisations-jambons.

Pas de réseaux sociaux? 

Pas de QANON.

De Cossette-Trudel, Tadros, Pilon (et leurs quelques centaines de milliers d’abonnés).

De Farfadaas.

De tunnel bloqué.

De convoi de kémions.

D’Andrew Tate, de fille de l’UQAM ou autres influenceurs s’attaquant, au quotidien, à l’amenuisement du quotient intellectuel collectif.

Selon Eco: les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.

Condescendant? Bien entendu. Faux? Pas sûr.

Autre chose: pas de réseaux de sociaux, moins de populisme, gauche ou droite.

Moins d’extrême droite.

Pas de… Trump.

Je charrie? Pas sûr. Selon les études, l’ex-président mentait plus de vingt fois par jour. Par quelle entremise? Principalement celle de Twitter, c’est-à-dire en contournant à dessein les médias traditionnels, responsables du contrôle des faits.

***

La recherche scientifique sur le sujet commence d’ailleurs à divulguer ses fruits. Entre autres groupes d’âge, les adolescents accros aux réseaux sociaux souffriraient – selon une étude publiée dans la revue Jama Psychiatry – davantage d’anxiété et autres enjeux de santé mentale.

Les aveux (candides) de Sean Parker, ancien président de Facebook, ont d’ailleurs tout pour plaire: le média, d’admettre l’ex-grand boubou, est conçu précisément afin «d’exploiter une vulnérabilité de la psychologie humaine». Les likes, pour seul exemple, assureront la dose de dopamine nécessaire à l’addiction des utilisateurs à la plateforme. Et qu’est-ce que la dopamine, au fait? Le neurotransmetteur sur lequel mise la… cocaïne. Juste ça.

Fermer les médias sociaux, donc, avant qu’il ne soit trop tard. Les chances que ça arrive? Zéro, bien entendu. Mais bon. Vous pouvez liker la chronique quand même.

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