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Les pauvres

Frédéric Bérard

En plein été, cet été, mois d’août. L’ami André suggère à notre petit groupe de cinéastes bourrés de belles intentions : «Ok, j’ai une idée : on s’en va couvrir la gang qui s’est installée le long de la rue Notre-Dame, histoire de gueuler contre le manque de logements sociaux pis les évictions, à Montréal.» En moins de deux secondes, la proposition est acceptée par le reste de la bande. Alain, caméraman et couteau-suisse du groupe, se propose afin d’appuyer André.

Quelques jours plus tard, toujours sous un soleil brûlant, j’arpente la rue direction Ami Roy, irréductible ensouché de Pointe-aux-Trembles. Une pléthore de tentes multicolores égaye ce coin d’ordinaire sinistre, et attire l’attention : j’aperçois les deux lascars, déjà en action avec certains interlocuteurs. Je m’arrête, et longe le petit chemin afférent. L’une des plus belles journées de l’année, jumelée au look convivial et bon enfant de l’occupation, échouent néanmoins à farder l’injustice, sinon la souffrance, derrière l’opération. Parce malgré l’unification des forces dissidentes dans le cadre du juste combat, reste que la détresse sociale suinte, allô l’euphémisme, l’endroit.

Quelques convos, même triées sur le volet, confirment la chose : les alternatives, si elles existent véritablement, le sont au compte-gouttes. Pire : elles ont le nez rivé sur l’incurie ou mensonge politicien. Selon Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, Québec refuse de donner suite à son engagement de fournir 15 000 logements. Seule une partie de ceux-ci, infime, a vu le jour ou serait sur le point de le faire.

Reste que dans une tornade de misère surgit parfois un inattendu joyau. Ici, celui de la solidarité. Celle d’un groupe de laissés pour compte ayant opté, communément, pour la résilience. L’État ne veut pas de nous ? Pas grave.

-Vous êtes bien, ici, les gars ?

-Ouais.

-Vous pensez demeurer combien de temps ?

-Aussi longtemps qu’on pourra. Mais c’est sûr qu’avec l’hiver qu’on a, va ben falloir partir un jour.

-Pensez-vous qu’on vous ordonnera de partir dans l’intervalle ?

-On verra. Si on est ici, c’est qu’ils n’ont pas de place pour nous ailleurs…

***

Des dizaines de policiers sont récemment débarqués au campement de fortune. Flics en bicyk, à cheval, patrouilleurs. Des membres de l’escouade anti-émeute, même. Wow. Du gros courage, ça, les boys. Vous n’avez pas pensé aux tanks, aussi, ocazou?
La raison de ce Mardi Gras para-militaire? Mettre fin à l’occupation. La raison de la raison ? Que la Ville en a décidé aux suites d’un incendie venu enflammer quelques tentes. Toujours selon celle-ci, le feu en question aurait pu se propager et, ô grand malheur, enflammer une bonbonne de gaz de propane à proximité qui, malheur de chez malheur, aurait pu blesser quelqu’un du quartier ou, malheur de malheur de chez malheur, endommager une de ses propriétés. Câline de bine. On niaise pas avec ça, la détresse -humaine ou immobilière- à Mourrial.

Me sont venues alors à l’esprit, en voyant les images du démantèlement du délétère camp d’occupation, les paroles de la toune de Plume :

Les pauvres c’est d’la vermine
Du trouble pis d’la famine
Les pauvres ça couchent dehors
Les pauvres ça l’a pas d’char
Ça boit de la robinne
Pis ça r’gardent les vitrines
Pis quand ça va trop mal
Ça s’tape sa photo dans le journal

Les pauvres ça mendient tout le temps
Les pauvres c’est bien achalants

Si leur vie est si mal-aisée
Qui fassent pas de bébé

[…]

Les pauvres c’comme les oiseaux
C’est faites pour vivre dins pays chaud

Icitte, l’hiver les pauvres gèlent
Sont maigres comme des manches de pelles
Leur maison est pas isolée
Pis l’gaz est coupé

Les pauvres aiment la chicane
Y vivent dans des cabanes
Les pauvres vont pas à ‘école
Les pauvres c’pas des grosse bolles
Ça mangent des semelles de bottes
A’ec du beurre de pinote
Y sentent la pauvreté
S’en est une vrai calamité

Y’ont toute la télé en couleurs par exemple…

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