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Dominique Anglade: nommer ses drames

Dominique Anglade (à gauche), accompagnée de sa mère, Mireille, et de sa petite soeur, Pascale
Dominique Anglade (à gauche), accompagnée de sa mère, Mireille, et de sa petite soeur, Pascale, en 1978 Photo: Gracieuseté/Les Éditions Libre Expression

Au-delà de la politicienne, il y a la famille, la femme, les succès, le drame… Dans une biographie à paraître au mois de mars, la cheffe du Parti libéral (PLQ), Dominique Anglade, parle de politique, mais rien qu’un peu. Elle ouvre d’abord et avant tout une fenêtre sur une existence parsemée d’épreuves personnelles.

Dominique Anglade a longtemps eu la difficulté à «nommer les choses». Ex-étudiante de l’École Polytechnique, elle a pris des années avant de parler des crimes de Marc Lépine en 1989 comme d’un «féminicide».

Mais en 2010, la mort frappe. Ses parents, Mireille et Georges, perdent la vie dans le tragique séisme en Haïti, qui a fait des centaines de milliers de victimes. Les mots se mettent à couler.

Pour ne pas oublier, la politicienne de 47 ans couche sur le papier les premières pages d’un manuscrit qui aboutira onze ans plus tard: Ce Québec qui m’habite.

«Je pensais à mes enfants qui ne connaîtraient pas leurs grands-parents. Je me suis dit que j’écrirais tout ce qui me passait par la tête, ce qu’ils m’ont transmis», souligne-t-elle en entrevue avec Métro.

Les poids de l’enfance

«Une enfance… comme les autres?» C’est avec ces mots que Dominique Anglade décrit ses premières années au Québec.

Fille de deux immigrants haïtiens, elle naît à l’hôpital de la Miséricorde, à Montréal. Elle grandit dans Notre-Dame-de-Grâce. «Notre enfance sera typique», relate-t-elle.

Typique, mais pas sans difficultés. Dans un voyage dans son pays natal au milieu des années 1970, le père de Dominique Anglade, un géographe, est arrêté, puis emprisonné, par des soldats du régime de Bébé Doc.

«Quiconque ignore le climat propre au régime dictatorial aura du mal à imaginer l’angoisse qu’un événement de ce genre suscite», écrit sa fille des années après les événements.

Quand Dominique Anglade a dix ans, des nuages noirs apparaissent dans le ciel de la petite famille. Sa mère traverse un épisode dépressif. «Maman nous racontera qu’elle n’a pas dormi pendant un an. […] Elle était aussi régulièrement traversée par l’idée d’en finir avec tout ce mal de vivre.»

Ces épreuves forgeront la femme qu’elle est aujourd’hui, affirme-t-elle. De son passage à l’université, jusqu’à la vie politique, en passant par les postes de haut niveau dans des firmes de génie et de consultation.

«Dans l’exercice d’écriture, je me suis beaucoup rendu compte qu’il y a beaucoup d’épisodes qui ont fait ce que je suis devenu.» – Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

2010

Dominique Anglade est la première québécoise endeuillée par le tremblement de terre du 12 janvier, en plein cœur de Port-au-Prince.

Ses parents, partis pour quelques semaines revoir les leurs, sont dans la capitale, ce jour-là. Les premières secousses frappent quelques moments avant 17h. À Montréal, pas moyen de s’en douter.

Dans son livre, Dominique Anglade raconte le silence angoissant des heures suivantes. Affairée à démarrer un organisme de bienveillance, qui deviendra KAMPE, elle se dit: «pas de nouvelles, bonnes nouvelles».

Mais le temps passe, ne laissant filtrer que des bribes d’information. Le domaine familial en Haïti s’est effondré, ses parents sont sous les décombres. Les en a-t-on extirpés?

Puis, «l’annonce fatale».

«En une seule journée, je n’ai plus de père ni de mère. J’ai perdu mon oncle et mon cousin.»

Faire son deuil

Onze ans plus tard, le temps a partiellement fait son œuvre, raconte-t-elle. «Ce n’est pas parfait. Il y a des moments où je suis triste, c’est sûr qu’ils me manquent», évoque-t-elle au bout du fil.

Dans sa biographie, Dominique Anglade parle du deuil comme un «trou dans lequel tu vas mettre autre chose». «J’ai regardé ce trou. Et j’y ai mis autre chose», écrit-elle.

D’abord en élevant ses trois enfants, puis, en s’impliquant dans les premiers pas de la Coalition avenir Québec (CAQ), en 2012. Libérale depuis toujours, elle deviendra présidente du parti de François Legault.

Mais elle perd vite l’intérêt d’origine qu’elle avait pour le parti. Les positions identitaires de la CAQ ne cadrent pas avec ses convictions. «Ce n’est plus ma place», se dit-elle en 2013, avant de quitter pour de bon. Aujourd’hui, elle ne s’y reconnaît plus du tout.

Retour au PLQ

Ce Québec qui m’habite parle aussi des premiers pas en politique active de Dominique Anglade. Défaite comme candidate caquiste en 2012, elle remporte l’élection partielle de 2015 sous la bannière du PLQ.

Elle relate également ses premiers pas comme ministre de l’Économie, sous Philippe Couillard. Appelée à commenter la vente de Rona à l’Américaine Lowe’s en 2016, elle vit alors son baptême du feu. À sa première mêlée de presse comme ministre, elle évoque une nouvelle qui «pourrait être bénéfique».

«ERREUR! Et la machine s’emballe. C’est parti! Vendre un siège social devient « une bonne nouvelle… », « La ministre se réjouit… », « La transaction saluée… » et j’en passe.» – extrait de Ce Québec qui m’habite

La nouvelle cheffe du Parti libéral, qui a succédé à Philippe Couillard, a senti une cassure en 2018, à l’élection de la CAQ. Les pertes dans les régions ne sont pas un hasard, analyse-t-elle.

«Il faut avouer qu’en même temps nous avons manqué d’écoute à l’endroit des régions», écrit-elle.

Nouveau regard

Aujourd’hui, convient-elle, il faut un nouveau PLQ. «Je pense que les dimensions sociales et environnementales doivent prendre plus de place [que sous Philippe Couillard]», indique-t-elle à Métro.

Cette Dominique Anglade qui, enfant, avait demandé au pape Jean-Paul II si elle pouvait devenir papesse, est devenue en 2020 la première femme à piloter le Parti libéral. Quelques moments plus tard, elle recevait ce message: «Un autre plafond de verre vient d’être brisé. Le chemin vers le pouvoir est long et semé d’embûches encore plus pour les femmes, mais quand l’une de nous gagne, ce sont toutes les femmes qui gagnent.»

Des mots de la première première ministre de l’Histoire du Québec, Pauline Marois.

En sortie de crise de la COVID-19, affirme Dominique Anglade, il ne faut surtout pas oublier les femmes, plus touchées que les hommes par la pandémie. Les avancées ne sont pas des acquis, écrit-elle, avant de citer Simone de Beauvoir.

«N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.»

«Ce Québec qui m’habite» paraît en librairie le 31 mars. Il est disponible en prévente.

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