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Britannicus: La naissance d’un monstre

Le comédien Marc Béland et le metteur en scène Florent Siaud, au TNM. Photo: Josie Desmarais/Métro

Dans la pièce Britannicus de Racine, on assiste à la naissance d’un monstre, Néron, avec en toile de fond une série d’intrigues et de jeux d’alliances qui ne devraient pas déplaire aux habitués de la populaire série House of Cards.

Si la pièce originelle du grand dramaturge français Jean Racine (1639-1699) se déroule à Rome en la sixième décennie de notre ère, les intrigues politiques et les rapports parfois tordus que d’aucuns entretiennent avec le pouvoir et la figure de la mère demeurent toujours aussi présents. Bonjour Freud.

C’est d’ailleurs pour illustrer cette intemporalité que le jeune metteur en scène Florent Siaud, qu’on dit le plus prometteur de sa génération, a choisi de camper l’action dans notre contemporanéité. À cet effet, il a eu recours au multimédia et a revêtu sa prestigieuse distribution de vêtements aux élégantes et raffinées coupes italiennes.

Sylvie Drapeau, Marc Béland, Françis Ducharme, Éric Robidoux, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert et autres Evelyne Rompré nous présenteront donc une œuvre à la fois chic et résolument moderne, même si elle demeure un classique écrit en alexandrins (1768, précisément).

«Je suis fasciné par l’idée de rendre accessible et percutant un texte qui est matière à plusieurs niveaux de compréhension. De trouver, dans cet écrit qui nous habitera les acteurs et moi pendant plusieurs années, la vibrante humanité qui va à la fois toucher le cœur du spectateur et lui faire vivre une expérience hors norme dans son quotidien.» – Florent Siaud, metteur en scène de Britannicus

La fin justifie les moyens
Qui dit Italie et politique, dit bien évidemment Nicolas­ Machiavel, cet auteur du XVIe siècle dont le plus célèbre ouvrage, Le Prince, a révolutionné la façon de penser et de concevoir le politique: plutôt que de tenter d’imaginer le meilleur système politique à la manière des Grecs, le Florentin s’est penché sur la mécanique du pouvoir. Et, apport révolutionnaire, sur la façon dont le Prince (lire le chef politique) peut user de stratégies, en faisant abstraction de toute considération morale, pour s’emparer du pouvoir (et, bien sûr, le conserver).

C’est d’ailleurs en pensant à Machiavel, qui voulait se faire bien voir du Prince en rédigeant son manuel d’instructions, que le metteur en scène a élaboré, avec Marc Béland, le personnage de Narcisse, redoutable conseiller de Néron qui serait à l’origine de la transformation de cet empereur romain vertueux en tyran, allant jusqu’à sombrer dans la «banalité du mal», pour reprendre la formule d’Hannah Arendt.

«Oui, nous pouvons faire des liens avec notre époque en analysant la façon dont le politique, l’affectif, le psychanalytique, l’amour-propre, la névrose, voire la régression infantile, ont habité certains acteurs politiques», avance, en substance, Florent Siaud, qui a lu des biographies de dictateurs pour bâtir cette œuvre qui pourrait évoquer Ceausescu, Staline et même, dans une certaine mesure, l’actuel occupant de la Maison-Blanche, dit-il.

Et comment s’y prend-on pour illustrer en moins de deux heures cette transformation imputable au contact avec la «matière radioactive du pouvoir», comme le dit Siaud? «Grâce à la partition, on se fait une idée, seul chez soi, du personnage», précise Marc Béland au sujet de son rôle.

«On se retrouve devant quelqu’un qui a compris la mécanique du pouvoir et décide de jouer le jeu. Il se fait donc aimable, doux et adapte son discours en fonction de son interlocuteur. Au départ, je soulignais trop les traits du personnage. Florent m’a surpris en apportant certaines nuances. En le faisant avancer masqué. C’est d’ailleurs la grande force de ce metteur en scène que de situer les personnages là où on ne les attend pas», poursuit Béland, qui souligne au passage que la plus grande part de sa concentration se porte en fait sur les alexandrins «tranchants comme des lames», puisque du langage, beau comme un diamant noir, surgit ce personnage qui humilie, flatte, hypnotise, confond, bref manipule les divers protagonistes afin de faire avancer ses pions vis-à-vis d’Agrippine, mère de Néron, belle-mère de Britannicus et épouse de l’empereur Claude qui, de son côté, entend asseoir son pouvoir coûte que coûte.

Mais lorsque l’amour, le désir, le froid calcul politique et la contingence viennent brouiller les cartes, tout peut arriver…

Britannicus est présenté dès lundi au TNM.

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