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«Petit traité sur le racisme»: le racisme dans l’œil de Dany Laferrière

Dany Laferrière
Dany Laferrière Photo: Josie Desmarais/Archives Métro

Un an après le meurtre de George Floyd et la recrudescence du mouvement Black Lives Matter, Dany Laferrière publie Petit traité sur le racisme, un essai littéraire – ou «triste bouquin», comme il le qualifie lui-même – qui explore cet enjeu complexe.

En plusieurs courtes vignettes, il pose son regard d’écrivain sur le racisme. Son ouvrage a une grande portée pédagogique, faisant (re)découvrir aux lecteurs plusieurs personnalités culturelles et historiques incontournables allant de Harriet Tubman à Tupac Shakur.

L’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer et de L’énigme du retour revisite l’histoire raciale des États-Unis, rappelant les injustices d’hier d’aujourd’hui, dont les trop nombreuses bavures policières.

Dans Petit traité sur le racisme, il est question des «douleurs fantômes» de l’esclavage, de dynamiques de pouvoir, de la «culpabilité judéo-chrétienne d’une minorité de Blancs», de l’importance de la représentation, du souffle de Miles Davis et des chansons «gorgées de larmes» de Bessie Smith.

Entrevue à partir d’extraits de son ouvrage.

«Je suis conscient de marcher sur une étroite bande au-dessus du vide.» Pourquoi avez-vous pris le pari risqué d’écrire sur un sujet aussi sensible que le racisme?

Oh, c’est un peu une ruse de narration qui sait que le lecteur aime bien assister à la corrida. Mais je sais aussi combien c’est un sujet sensible. On évite ces jours-ci de le prendre à main nue pour ne pas recevoir une trop forte charge électrique. Durant toute ma vie d’écrivain, j’ai toujours affiché un goût pour le risque. J’ai été le premier au Québec, à l’aborder frontalement avec mon premier roman, et cela il y a 35 ans. 

«On doit encore comprendre que le mot Noir ne renferme pas tous les Noirs, de même que le mot Blanc ne contient pas tous les Blancs. Ce n’est qu’avec les nuances qu’on peut avancer sur un terrain si miné.» Trouvez-vous que la plupart des discours sur le racisme manquent de nuance?

On peut comprendre aussi que le discours militant manque de nuances, car le militant estime que s’il entre dans l’arène c’est parce que toutes les règles ont été foulées au pied depuis longtemps. De l’autre côté, on croit que les Noirs ont franchi depuis longtemps aussi les limites tracées. Les Noirs répliquent, avec raison, qu’ils ont les mêmes droits que n’importe qui d’autre, et qu’en ce sens que l’État devrait lui accorder «une égale protection», comme c’est écrit dans la Constitution. En tant qu’écrivain je peux prendre une distance pour rappeler l’Histoire, et aussi élargir le discours vers une direction plus philosophique. Je rappelle que si on lit le livre on verra que ce ton plus nuancé ne m’empêche pas d’avoir une position claire.

«Je tricote ce triste bouquin pour dire deux ou trois choses de cette histoire du racisme.» Vous êtes régulièrement invité à commenter ce sujet dans les médias, où on offre rarement de la perspective. Comment l’écriture de ce livre a-t-elle fait évoluer votre réflexion sur la question?

Je ne commente pas régulièrement ce sujet, je peux dire que j’interviens dans ce genre de débat une fois sur 50. Pourtant on me sollicite sans cesse, et je refuse presque toujours. On me le reproche d’ailleurs. Ces derniers mois, j’étais plus présent, mais quand j’ai vu que je n’arrivais pas à glisser les nuances nécessaires dans une chronique, j’ai pris le parti d’écrire un livre où j’ai de l’espace et une plus grande marge de réflexion. Je suis plus à l’aise à écrire des livres où il faut à la fois avoir une certaine vision du sujet, un sens du rythme, de la musique, il faut pouvoir aussi mesurer l’émotion pour ne pas trop envahir le lecteur. Sur un parcours plus bref, comme le commentaire, on est attiré plus souvent par le cri du cœur, qui entraîne avec lui des bruits divers.

«Quand une femme dit NON / vous devez arrêter / quand un NOIR dit / «J’étouffe» / vous devez arrêter aussi.» Selon vous, y aura-t-il un avant et un après George Floyd, comme il y a eu un avant et un après Harvey Weinstein?

J’ai vu trop d’événements dans ma vie pour émettre de tels jugements. Ce genre de formule ne veut rien dire. C’est peut-être la raison profonde qui m’a poussé à écrire ce livre. La vie collective ne sera jamais à la merci d’un seul événement. J’ai l’habitude de dire qu’il y a eu tant d’événements tragiques durant ces siècles d’esclavages et de racisme, il a fallu qu’une femme fatiguée refuse de céder sa place dans un autobus pour déclencher le plus grand mouvement de protestations du XXe siècle, après le mouvement de Gandhi en Inde. Cela débouchera sur la lutte menée par Martin Luther King pour la pleine jouissance des droits civiques des Noirs aux États-Unis.

À propos du premier film de Spike Lee, She’s Gotta Have It, vous écrivez : «On est passé si près de tordre le cou à cette bêtise qui impose à l’artiste noir de ne parler que de sa condition raciale.» En tant qu’artiste noir, sentez-vous une pression de devoir intervenir sur cet enjeu?

Justement, je n’ai jamais été un artiste noir. Je n’ai jamais entendu un Haïtien dire à Port-au-Prince qu’il est un peintre ou un poète noir, cette question n’arrive que quand on est en présence d’un Blanc. Si on ne veut pas être un Blanc il faut effacer la condition noire, et cela, seule la majorité peut le faire en imposant la notion de citoyenneté dans sa pleine fonction. C’est l’ultime point de cette lutte.

«Je voudrais remettre de la chair et de la douleur dans cette tragédie qu’est le racisme.» N’est-ce pas le rôle de l’écrivain?

Je le crois. Je n’ai pas esquivé non plus les difficultés d’un tel problème. Ce n’est pas un vague appel consensuel, mais je n’ai pas cherché non plus à éteindre le feu avec de la gazoline. Il nous faut être de tous les côtés responsables, tout en sachant que le KKK n’est pas une organisation d’enfants de chœur, et qu’il y a toujours derrière eux, dans les cérémonies nocturnes, une croix en flammes. Le feu est leur allié, mais l’eau (l’esprit) peut l’éteindre.


Petit traité sur le racisme

Aux éditions du Boréal

En librairie le 15 juin

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