Sandrine Bisson, amoureuse animale dans «Confessions»
C’était dans un gala, il y a quelques années. Sandrine Bisson arborait une allure différente de son look habituel, avec hautes bottines et rallonges de cheveux qui descendaient bas dans son dos. Sortie fumer une cigarette – elle ne fume plus depuis –, la comédienne a croisé Luc Picard à l’extérieur. Pendant leur discussion, celui-ci l’écoutait, mais il est un peu tombé dans la lune.
Deux semaines plus tard, Sandrine Bisson recevait un appel de l’acteur et réalisateur qui lui proposait d’incarner l’un des principaux rôles de son prochain film, Confessions, qui raconterait la vie du pour le moins prolifique tueur à gages Gérald Gallant, qui a assassiné sans broncher 28 personnes liées au crime organisé sur une trentaine d’années, et commis 12 tentatives de meurtre.
Sans audition, sur une inspiration soudaine de Luc Picard lors d’une rencontre fortuite, Sandrine allait devenir Jocelyne, la maîtresse du petit homme bègue et terne, aux facultés intellectuelles limitées, pourtant reconnu comme l’un des pires meurtriers à gages du Canada. Jocelyne est un personnage important du long métrage à l’affiche depuis mercredi, puisque la romance entre Gallant (qu’interprète Luc Picard avec brio en plus de réaliser l’œuvre) et elle confère une humanité à cet homme qui n’a pourtant rien d’aimable au premier abord.
«Je n’avais jamais joué d’amoureuse, confie une Sandrine Bisson enthousiaste à Métro. J’ai joué beaucoup de mères, des prostituées ou des filles sans pudeur, mais pas d’amoureuses. Et, dans Confessions, c’est une amoureuse à ma couleur. Noire, qui tue!»
Tuer de sang-froid
Complice de son amoureux dans le crime, fière d’être la Bonnie de son Clyde, la femme grande adepte de vélo et issue d’une famille d’entrepreneurs en pompes funèbres est l’un des rares êtres humains à avoir réellement touché le cœur de Gallant et à l’avoir incité à s’ouvrir un peu. Autrement, «l’employé», fils d’une mère qui le détestait, était froid, tirait sans âme, ne s’attachait à personne.
«Je me demandais comment j’allais faire pour les aimer, avoue Sandrine. Mais le charisme de Luc (Picard) m’a quand même aidée, et en faisant des recherches, je me suis dit que ce monsieur était quand même touchant. Ma tête et ma raison ont fait en sorte que je suis allée plus loin. Parce qu’il faut du sang-froid, pour prendre la vie de quelqu’un! Les hyènes le font, les lions le font… Moi, mon chat arrive parfois avec un lièvre dans la gueule, sans savoir qu’à cause de lui, la vie du lièvre est maintenant terminée. Je voulais aller dans ce côté animal.»
«Pour Jocelyne, sa façon d’aimer Gallant, c’est un peu de quêter de l’amour, poursuit l’artiste. Elle n’est pas si forte que ça. J’ai cherché à voir l’humain derrière, les failles qui ont fait qu’elle a su accepter qu’un gars tue et arriver à l’aimer pareil. Je l’aime, cette Jocelyne, et j’espère que si elle voit le film, elle ne sera pas déçue. J’ai voulu lui donner de la douceur, les quêtes réelles d’une femme qui ne l’a pas eue facile.»
Humiliation
Sandrine Bisson n’a d’ailleurs pas rencontré Jacqueline Benoit, la «vraie» ex-compagne de Gérald Gallant, qui est toujours vivante. Elle s’est plutôt préparée en lisant le livre Gallant : confessions d’un tueur à gages, écrit par les journalistes Éric Thibault et Félix Séguin, et dont est inspiré le film.
«Et je ne voulais pas l’imiter, de toute façon, précise-t-elle. J’y allais avec des suppositions. J’ai voulu aller chercher sa droiture, son athlétisme pour le vélo, son côté sec de femme qui n’a pas d’enfant et n’en aura jamais, mais aussi d’amoureuse. C’est un peu contradictoire…»
Jacqueline Benoit, souligne Sandrine Bisson, a été vivement écorchée dans la saga Gallant. Car elle a eu beau jouer un rôle crucial dans la vie de ce dernier, elle n’a pas bénéficié de la même protection policière que l’épouse officielle de l’homme (interprétée par Éveline Gélinas dans le film), qui a changé de ville et d’identité lorsque son mari est devenu délateur.
«Ce qu’elle a fait est épouvantable, mais j’ai du respect pour toute la douleur qu’elle a vécue. Elle a dû être humiliée dans toutes les sphères de sa vie…»
Gâtée par la vie
La gentillesse de Sandrine Bisson est proverbiale dans le milieu artistique. En s’attablant face à la représentante de Métro pour l’entrevue que vous lisez présentement, la comédienne pointe du doigt un autre journaliste d’un autre média assis plus loin derrière.
«Je vais essayer de ne pas te dire les mêmes affaires qu’à Maxime…», s’inquiète-t-elle d’un regard sincère.
Bouche bée devant une telle sollicitude, l’auteure de ces lignes ne peut que bafouiller inintelligiblement que c’est le travail de l’intervieweur.euse, de faire en sorte que les questions, et donc les réponses, soient différentes d’un article de journal à l’autre. Qu’à cela ne tienne; l’attentionnée Sandrine se rétractera à quelques reprises en cours d’entretien.
«Ça, je l’ai déjà dit à Maxime…»
Délicate, qu’on disait. Et authentique. La tête enflée, Sandrine Bisson laisse ça à d’autres. Deux comptes Instagram arborent sa photo comme image de profil, l’un privé, l’autre public, où rien n’a été publié. N’allez surtout pas lui demander combien elle rallie d’abonné.e.s, elle n’a aucune envie de s’en soucier. Surveiller son image artificiellement, mesurer l’impact d’une publication sur Facebook, stresser quant à l’évolution de son ascension, très peu pour elle.
Au même titre qu’elle n’a pas particulièrement l’impression de vivre une année charnière, même si deux excellents projets d’envergure où elle tient de cruciaux premiers rôles, la série Le temps des framboises, sur Club illico, et Confessions, ont pris l’affiche coup sur coup cette année. Après tout, Confessions a été tourné il y a trois ans, avant la pandémie.
«C’est juste que, visuellement, je suis plus là, nuance-t-elle avec quelque chose comme un brin de candeur dans la voix. Moi, je garde le même rythme.»
Toujours un peu incertaine, celle que plusieurs considèrent comme l’un des plus grands talents de sa génération se permet même rarement de refuser des projets. Sauf en ce moment. Elle a besoin de se laisser souffler un peu. Elle a également dû biffer de son horaire le tournage du prochain film de Ricardo Trogi, qui n’a pas encore obtenu le financement escompté des institutions. Elle n’a accepté aucun nouveau contrat depuis novembre dernier, mais se lancera bientôt dans les enregistrements des deuxièmes saisons du Temps des framboises et du Bonheur.
«Je trouve que je suis simplement gâtée par la vie et j’espère que, tranquillement, je vais pouvoir faire mon métier encore bien des années…»
À son rythme
Plus jeune, la diplômée 1999 de l’École nationale de théâtre – «à 30 ans et quelques», précise-t-elle –, qui a trimé dur au théâtre avant de décrocher un premier rôle dans Le négociateur, puis hérité des répliques de la colorée maman Trogi de 1981 (qui allait ensuite devenir une trilogie), était «tout sauf Isabelle Blais ou Karine Vanasse», remarque-t-elle.
«J’avais ma grosse voix, ma peau un peu ravagée. Et je les voyais, elles, jouer des bums, avec leur beauté, alors que moi, je me disais que j’en étais vraiment une! (rires) Mais j’étais bien trop jeune pour faire les rôles que je fais en ce moment. Ç’a été plus long et progressif. Mais j’ai tenu bon, j’ai continué. J’ai réussi à me faire une petite place, à mon propre rythme. Aujourd’hui, j’apprécie de n’avoir jamais eu la pression de performer parce que le succès d’un film ou d’une série reposait sur mon nom. Le côté vedette, je ne l’ai pas, je pense que je ne l’aurai jamais. Je ne veux pas devenir une vedette. Je trouve ça trop dangereux! Parce qu’on est souvent déçus…»
Le film Confessions est à l’affiche au cinéma depuis le mercredi 20 juillet.