Tomber dans les pommes biologiques
La saison de l’autocueillette bat son plein dans les vergers du Québec. Mais depuis quelques années, une nouvelle demande a fait son apparition sur le marché: l’alimentation biologique, poussant plusieurs producteurs à s’y convertir. Portrait d’une transition qui nécessite beaucoup de jus de pomme bras.
Installé à 35 minutes de Montréal à Mont-Saint-Grégoire, le propriétaire des Domaines Roka, Dragos Iuroaia, ne chômait pas lors de notre appel. Le verger biologique de cinq hectares est ouvert depuis 2012 et accueille chaque automne des milliers d’autocueilleurs.
Venu au Canada en 2005, M. Iuroia confie avoir été gravement malade après 18 ans de travail avec les pesticides dans les vignobles. Mais c’est surtout son grand amour pour la nature qui l’a mené vers le bio. Certifiés par ECOCERT Canada depuis 2014, ses 4000 pommiers ont même droit à de la musique classique, que M. Iuroaia fait jouer pour les chouchouter.
«J’aime beaucoup la nature, tout ce qui est végétal et animal. Je ne veux pas faire de choses mauvaises pour l’environnement quand je travaille ma terre et je ne veux pas souiller les autres», explique l’agronome de formation d’origine roumaine.
Cette philosophie rejoint aussi celle du verger À la Croisée des Pommes, ouvert depuis 1995 à Saint-Joseph-du-Lac dans les Laurentides. L’entreprise de six hectares et certifiée par l’organisme Québec Vrai produit 14 variétés de pommes biologiques depuis 2012. La raison de ce virage bio: l’arrivée de problèmes de santé du mari de la propriétaire, Caroline Lacroix.
L’environnement est aussi un facteur important, selon Mme Lacroix. Les clients doivent maintenant apporter leurs sacs réutilisables et mettre les fruits non voulus dans une chaudière afin qu’ils soient vendus pour faire du jus biologique.
«On a vu que beaucoup de personnes voulaient du bio. Il y avait nous, un autre verger qui était en conversion, et monsieur Joannette [du verger bio Joannette, NDLR] qui était là un an avant nous», affirme-t-elle.
Un marché en croissance
La demande et l’offre pour des pommes biologiques sont en augmentation depuis les dix dernières années.
D’après le portail VirageBio de l’Union des producteurs agricoles (UPA), le nombre de vergers biologiques est passé de 24 à 42 entre 2009 et 2018. En 2017, ils représentaient 8% des entreprises pomicultrices du Québec.
Et ça se remarque dans les vergers. Mme Lacroix estime avoir plus de clients depuis qu’elle s’affiche bio. Elle croit que beaucoup de consommateurs adoptent cette option pour des raisons de santé.
«Depuis qu’on est biologique, le verger se remplit tout seul, parfois dans les grosses fins de semaine on doit refuser du monde, avant on ne faisait pas ça, dit-elle. On ne fait même plus de publicité!»
Plus de travail
Pour être biologiques, les vergers doivent respecter une liste de critères précis et obtenir une certification d’un organisme spécialisé en environnement comme Québec Vrai ou ECOCERT. Leurs pommes doivent être biologiques depuis trois ans et à bonne distance des vergers non biologiques voisins.
Le cycle naturel de l’arbre est aussi le principal enjeu en bio. D’après Mme Lacroix, il faut faire plus de travail manuel et le nombre de fruits varie alors d’une année à l’autre.
«On faisait des arrosages chimiques quand la pomme était toute petite pour faire tomber la moitié des fruits par terre, ajoute-t-elle. Dans le bio, on ne peut pas faire cet arrosage-là, donc on y va avec les ciseaux manuellement, car si on ne fait pas ça avec certaines variétés, les arbres vont casser.»
Pas question d’utiliser des herbicides et des insecticides, rappelle aussi M. Iuroaia. Le pomiculteur fauche son verger manuellement et ramasse les feuilles une à une pour éviter la propagation de maladies.
Il diffuse également les phéromones d’insectes s’attaquant aux pommes pour réduire leur nombre dans le verger. Cette technique nommée «confusion sexuelle» désoriente et entrave les mâles lors de l’accouplement. De plus, faire un petit masque d’argile sur les feuilles les protège contre les rayons UVB.
«Je donne aussi des virus contre les insectes à travers une bouteille. Mais ce n’est pas la même chose que la COVID.C’est un virus qui a toujours été dans la nature», s’esclaffe-t-il.
Toutefois, les deux agriculteurs ne se découragent pas. Dragos Iuroaia se dit très fier de pouvoir prendre soin de la terre et de montrer qu’on peut faire des pommes autrement. Le sentiment devoir du travail accompli.
«Je suis satisfait quand je vois que mes arbres sont en bonne santé juste avec mon travail, qui est naturel. Ils ne sont pas malades», confie-t-il.
Une conscience sur le terrain
Bonne nouvelle pour les consommateurs: il n’y a pas que les vergers biologiques qui utilisent des techniques naturelles, selon la présidente de l’Association des producteurs de pommes du Québec, Stéphanie Levasseur.
«On intègre de plus en plus de méthodes biologiques dans notre régie. Pour traiter contre les acariens au printemps, ça fait des lunes qu’on utilise de l’huile minérale biologique», souligne Mme Levasseur.
Et peu importe si votre prochain verger est biologique ou non, il ne faut pas oublier que les pomiculteurs partagent tous la même passion et la même fougue au travail, estime-t-elle.