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Avortement et fin de l’État de droit

Flashback 1999. Assis sur les bancs de la fac de droit, discute du dernier arrêt de la Cour suprême du Canada. On décortique chaque réflexion de chaque juge, majoritaire, concurrent ou dissident. Long et fastidieux, l’exercice se veut quand même intellectuellement amusant, merci au prof Chevrette, as des as. 

La vie est bonne, en fait. Rassurante, même. Parce que l’Occident se dirige, chaque année encore plus, vers le Saint-Graal des libertés publiques. 

Le droit à l’égalité, pour seul exemple, prend du poids quotidiennement ou presque.

Les dispositions dérogatoires? Jamais entendu parler, à l’époque, dans un de mes cours. Niet. Suspendre les droits sans justification et préventivement? Es-tu fou?

Rien encore de parfait, évidemment. Mais les fondements de l’État de droit, solides, n’ont pas à craindre.

C’est dans cet état de confiance et d’enthousiasme que j’achevais mon bac. Le paradigme des droits et libertés, entamé après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, allait bientôt se parachever, entraînant avec lui les contours d’une société juste, prospère et équitable.

Quelque deux ans plus tard, deuxième jour de mon stage, chez Stikeman Elliott. Réunion du département de litige. Ça discute – ou gueule – fort. Jusqu’à ce qu’un des avocats entre en trombe dans la salle: «Guys, un avion vient de s’écraser dans l’une des tours du World Trade Center…»

Confusion, stupéfaction, semi-panique. On assiste, en direct, à l’écrasement du second avion. 

Le monde, on le comprend aisément à ce moment précis, ne sera plus jamais le même. 

Parce que là où la peur est reine, le populisme s’invite: mensonges, crainte et haine de l’Autre sont maintenant au menu. Leurs principales victimes? La confiance, le tissu social et les droits fondamentaux. Une culture de l’érosion de ceux-ci s’installe subrepticement. Des chroniqueurs s’en donnent à cœur joie, gueulant contre la dictature du «gouvernement des juges» ou dénonçant la «tyrannie de la minorité». 

La «crise» des accommodements raisonnables et ses suites, soit la commission Bouchard-Taylor, la Charte des valeurs et la loi 21, témoignent que le Québec, malgré sa tradition de respect des libertés publiques, est lui aussi sensible aux chants des sirènes populistes.

***

J’avais préparé, en 2014, une recension de diverses violations aux droits fondamentaux des dernières années, à être publiée chez XYZ. Mon éditrice de l’époque me lance, peu avant la parution:

– J’ai trouvé le titre! Ce sera La fin de l’État de droit.

– Euh… non.

– Mais oui! C’est le dénominateur commun du bouquin.

– Peut-être, oui, mais non.

– Mais pourquoi?

– Parce que j’aurai l’air d’un alarmiste fêlé. Et puis sérieux, non, je ne crois pas que l’État de droit s’évanouira demain matin.

– Alors voici mon compromis: on conserve La fin de l’État de droit, mais on y ajoute un point d’interrogation. Pas de discussion!

– …

***

Le renversement de Roe c. Wade était écrit dans le ciel. Merci à Trump, king des populistes, d’avoir atteint son but en paquetant une Cour suprême partageant maintenant ses vues. Comme annoncé dans la décision, s’ensuivra prochainement la remise en question des droits à la contraception (!), au mariage entre conjoints de même sexe et autres garanties constitutionnelles propres à la communauté LBGTQ. 

Certains diront: arrêtez de paniquer, ça se passe aux USA, pas ici…

Justement. Ça se passe ici, aussi. Parce que la conclusion principale de la Cour, soit que les droits fondamentaux doivent être remis dans les mains des élus, est la même que l’on entend ici dans le camp de Poilievre, prochain chef conservateur, trumpiste et alternative probable aux libéraux. 

La même aussi qu’on entend depuis l’élection du gouvernement Legault. Qui abuse de la dérogatoire afin de se soustraire au pouvoir judiciaire. Qui piétine une culture des droits fondamentaux chèrement acquise. Qui déclare qu’il appartient aux parlementaires d’établir les contours du vivre-ensemble. Traduction libre: les libertés publiques et droits des minorités, les tribunaux n’ont rien à dire là-dessus. 

Revenir vers l’arrière, donc? Trop tard, maintenant, je le crains. Parce qu’après deux décennies de propagande de méfiance envers les tribunaux, minorités et autre multiculturalisme, la chose est foutue. Le triomphe populiste, déjà célébré aux USA, en Hongrie, en Russie et au Brésil, ne saura tarder ailleurs, massacrant au passage les dernières digues de l’État de droit.  

La fin de celui-ci? Je dirais. Sans point d’interrogation, idéalement. 

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