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Patrick Emmanuel Abellard, du proxénète de «District 31» au psychologue de «Chouchou» 

L'acteur Patrick Emmanuel Abellard. Photo: Denis Germain/Métro

Il est Keith dans Complètement lycée, Hugolin dans Avant le crash et Franky dans Chouchou. Durant sa jeune carrière entamée depuis tout au plus une dizaine d’années, Patrick Emmanuel Abellard a porté l’uniforme de policier, s’est mis dans les souliers d’un homme de la finance, d’un psychologue et d’un courtier immobilier et a démontré sa polyvalence à l’écran comme sur scène.  

Outre le français international qu’il adopte pour doubler Keith, rôle qui lui a valu une première nomination aux Gémeaux l’an dernier, jamais Patrick Emmanuel Abellard n’a imité un accent. Les personnages qu’il incarne ne lancent pas de locutions en créole ou ne font pas référence, dans leurs dialogues, à la couleur de leur peau. Et ce ne sont pas des rôles stéréotypés – peut-être à une exception près. 

«Mes parents, ce sont des entrepreneurs, ils ont un esprit de business. Ils se demandent ce qu’un produit peut combler dans le marché. On a approché l’idée de me lancer en art un peu comme ça. On s’est dit qu’en tant que jeune Afro-Américain, j’allais venir combler un manque dans l’industrie», se souvient l’acteur en entrevue avec Métro, qui le rencontre à L’incubateur de rêves, un espace de cotravail pour femmes lancé par sa mère, Caroline Télémaque. 

Patrick Emmanuel Abellard
Photo: Denis Germain/Métro

Une industrie qui évolue peu à peu 

En décembre dernier, le New York Times livrait un portrait de Mani Soleymanlou, acteur qui décortique son identité plurielle et complexe dans ses créations. Interviewé par le média américain, il racontait notamment comment le milieu télévisuel d’ici a mis du temps avant de proposer autre chose que des histoires de Québécois.es francophones, le contraignant pendant des années à tenir des rôles mineurs d’immigrants. Aujourd’hui, on lui ouvre la porte vers des rôles comme celui de Coco dans C’est comme ça que je t’aime, ce qui, selon lui, n’aurait pas été possible il y a une décennie.  

«Je sens vraiment qu’il y a un effort concret qui est mis de l’avant dans l’industrie québécoise pour représenter toute notre population de façon normale, ordinaire», commente Patrick Emmanuel Abellard. 

Mais l’un des premiers rôles qu’il a obtenus à la télévision, c’était celui du proxénète Léopold Jean dans District 31, en 2016. Ravi de décrocher un contrat, il a quelque peu déchanté en voyant la réaction de ses tantes, qui déploraient que les Noirs soient encore trop souvent réduits à des rôles de criminels. 

«On m’a demandé d’aller en audition dans la dernière année pour un gros rôle dans une série, mais avec un accent prononcé d’un gars qui vient de sortir d’Haïti et qui bat sa femme. J’ai dit non», raconte-t-il pour rappeler que les stéréotypes peuvent être encore bien vivants dans notre télévision aujourd’hui.  

Attention, éviter les clichés racistes ne veut pas dire de ne jamais confier de rôles de criminels à des hommes noirs. Tout est une question de propos et d’intention. Pensons à la pièce King Dave, d’abord jouée par son auteur, Alexandre Goyette, puis par Anglesh Major et Patrick, qui remontera sur scène ce mois-ci pour l’interpréter cette fois en anglais au Centaur.  

«Ça existe, des bums, et ça existe, des bums noirs. C’est un fait. Si ton histoire, c’est une histoire sur les bums noirs, OK. Si ton histoire est sur la criminalité et les inclut, OK. Mais si tu as un personnage noir qui est là juste pour dire qu’il est noir et qu’il fait des trucs de Noir, c’est bizarre», résume-t-il. 

Patrick Emmanuel Abellard
Photo: Denis Germain/Métro

Éviter le piège 

Même lorsqu’il n’est pas question de tels personnages, il reste du travail à faire. «C’est sûr que parfois, on souffre encore de tokénisme, rappelle Patrick. Je trouve ça un peu ordinaire. Mais it’s a process. On est tellement venu de loin. L’évolution, ça prend du temps.» 

Le tokénisme, terme dérivé du mot anglais token, désigne cette pratique consistant à inclure des personnes issues de la diversité dans le but de soi-même paraître inclusif. 

La question qu’il faut se poser, c’est quel est le but du personnage dans l’histoire? Est-ce qu’on inclut des gens noirs parce qu’il le faut? Est-ce qu’on inclut des gens asiatiques parce que c’est un personnage intelligent? Dans ces cas-là, la prémisse de l’inclusion est déjà un peu biaisée. 

Patrick Emmanuel Abellard 

Évidemment, Patrick Emmanuel Abellard n’est pas la première personne noire au Québec qui décroche un rôle qui ne relève pas du cliché racial. «Didier Lucien, Mireille Métellus, Frédéric Pierre, Fayolle Jean… cette liste-là est un peu courte, mais ces gens-là ont 100% pavé le chemin pour nous, croit-il. Ils ont tenu leur bout, ils ont pris des décisions qui sont bonnes pour la communauté.» 

Mais quand des acteur.trice.s disent non à ces rôles qui relèvent de clichés raciaux, d’autres continueront de se les faire offrir, d’où l’importance de faire appel à des conseiller.ère.s quand on traite d’une réalité qui est loin de la sienne. 

«Il y a une personne autochtone avec qui j’ai travaillé il y a plusieurs années qui m’a dit “nothing about us without us [rien sur nous sans nous]. M’appeler pour me demander ce que je pense de quelque chose, ce n’est pas compliqué. T’écris sur la loi, tu vas demander à des avocats. C’est juste quand on veut faire des histoires sur les gens noirs qu’on ne le fait pas et c’est à se demander pourquoi, parce que ce n’est pas si difficile», conclut l’acteur.  

Patrick Emmanuel Abellard connaît une grosse année. Il fait partie de la distribution du film We Are Zombies, des séries La candidate et X-13 ainsi que de la pièce Ladies Night, en plus de remonter sur scène avec King Dave en anglais.  

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Patrick Emmnanuel Abellard était en couverture de notre numéro du 1er mars. Il s’agissait de sa première une à vie.

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